Biographie
de Guillevic
Jocelyne Le Borgne
1 - Du matin de
la vie à la guerre de 1914 :
Eugène GUILLEVIC
est né à Carnac le 5 août 1907, son ascendance est
bretonne, très exactement Morbihannaise, Ploëmel, du côté
paternel, Carnac du côté maternel.
C'est à Carnac que ses parents se rencontrent le jour du pardon
de saint Cornely le 2 septembre 1906.
Devant reprendre la mer, Eugène Marie Guillevic épouse Rosa
Jeanne Marie David un mois et demi plus tard, le 17 octobre 1906. Elle
est couturière à domicile et lui, mousse depuis l'âge
de 12 ans, effectue son service militaire sur le " Jean Bart ".
Eugène est leur premier enfant, un second fils prénommé
Alexandre naîtra en 1910. C'est à Carnac que Guillevic apprend
à marcher parmi les menhirs du Ménec.
À propos de son patronyme, il raconte :
" Guillevic veut dire " petit
diable ". C'est aussi le nom d'un cru de cidre réputé
dans la région d'Auray. Au café, on demande un cidre ou
guillevic... "
Le père
démobilisé devient gendarme en 1909 : la famille doit alors
quitter la Bretagne pour rejoindre Jeumont, près de la frontière
belge où elle reste jusqu'en 1912. Ce déracinement et l'existence
quotidienne difficile ne facilitant pas l'entente du couple, le petit
Eugène en fait les frais et devient le souffre-douleur de sa mère.
La famille occupe alors un logement de fonction dans la caserne où
règne la discipline militaire.
À l'extérieur, règne un climat de violence dû
aux nombreuses manifestations ouvrières que les gendarmes répriment
ce qui les rend très impopulaires auprès de la population
locale...
À l'intérieur, autre violence venant de sa mère :
" Ma mère était une mère
bourreau, castratrice comme on dit aujourd'hui, une mauvaise mère.
Mais c'est surtout la torture morale, qu'elle pratiquait au nom de la
religion, me maudissant, me disant que serais toujours un bon à
rien, que je ne gagnerais jamais ma vie, que je mourrais sur l'échafaud
et que je ne plairai jamais à une femme. J'étais donc l'enfant
martyr, l'enfant maudit
La conscience de ma laideur, due sans doute
plus à la condamnation de ma mère qu'à mon physique
lui-même
Tout au long de ma vie, j'ai employé une grande
partie de mes forces à lutter contre ce sentiment. "
Fin 1912, Eugène
père est muté à Saint-Jean Brévelay, dans
le Morbihan, à quelques dizaines de kilomètres de Carnac.
La famille retrouve la lande bretonne mais continue de loger en caserne,
ce qui contribue à l'isoler du reste de la population. Eugène
fils est le portrait " craché " de son père.
Le couple ne s'entend pas et le père est très souvent absent.
La vie est rude. Eugène fréquente l'école et suit
le catéchisme. Bon élève, il aime apprendre mais
ressent l'humiliation d'être pauvre.
" À Saint Jean de Brévelay,
les fenêtres de notre classe n'avaient pas de vitres, il pleuvait
dans la pièce... "
" Vers 8 ou 9 ans, j'ai commencé à écrire
des récitations à la manière de La Fontaine... "
Le 2 août
1914, la guerre est déclarée, son père est mobilisé.
Il a 7 ans.
2 - Grande Guerre
et adolescence :
Il n'a pas de contact
avec les enfants des paysans, car il ne parle pas le breton.. " je
fuyais ma mère le plus possible et je partais avec les camarades
du bourg, ceux qui parlaient français... nous allions marauder... "
Vers l'âge
de 10 ans, il rêve d'être marin comme son père. Cette
époque inspirera Garçon de
Terraqué.
En juillet 1919, il est reçu au Certificat d'Etudes Primaires avec
la mention assez bien.
En septembre 1919, son père est nommé Maréchal-des-Logis
chef à Ferrette dans le Haut-Rhin, près de la frontière
suisse. La population, qui vient de retrouver la nationalité française,
ne parle pas français. Les professeurs alsaciens au collège
d'Altkirch lisent les résumés de leurs cours, car ils ne
maîtrisent pas encore la langue. Tous les jours, il fait quatre
heures de train pour aller et revenir du collège, ce qui lui permet
de beaucoup lire Chateaubriand, Jean-Jacques Rousseau, George Sand, Victor
Hugo.
Tous ces livres, il les emprunte à la bibliothèque du collège,
au presbytère... il n'y avait pas de livres chez lui, ce qui était
cas dans la plupart des familles de l'époque en dehors des bourgeois.
Il apprend l'allemand et l'alémanique. La religion lui procure
un soutien. À L'école, il brille dans les disciplines scientifiques,
notamment en chimie mais sa devise est :
" Ayons la moyenne, je suis un fils de
pauvre, je ne dois pas briller, je ne dois pas rater mes examens, ayons
la moyenne. "
Après la
Bretagne, c'est le paysage de Ferrette, hêtres, sapins et collines,
qui marquera son uvre.
" Je pense que tous les Mémoires
sont simplificateurs, qu'on ne retient que ce qu'on veut ou ce qu'on peut.
Et pour moi c'est évident, le plus profond des impressions d'enfance
ressort dans les poèmes plus que dans les récits. "
À l'adolescence,
en 1922, il apprend la boxe. A17 ans, il lit son premier sonnet en public
et écrit une Ode
à la Vierge
qu'il envoie à Claudel qui ne lui répond pas. Il est remarqué
par ses professeurs mais il a peu d'ami. Sauf Henri qui n'allait pas au
collège et était apprenti bourrelier.
" On se promenait ensemble, on regardait
les choses, les bêtes... "
Il fait la connaissance
du poète Nathan KATZ, dans le train. Il se met à fumer la
pipe pour éloigner les moustiques quand il va lire dans la forêt
installé au pied d'un arbre.
En 1923, il a 16 ans et commence à tenir des carnets. Il découvre
Baudelaire, Rimbaud, Paul Valéry et le vers libre. Il fait paraître
son premier poème, " L'orage" , dans La
France de l'Est.
Poème que sa mère critique.
3 - Vie d'homme
et nouvelles années de guerre:
La première
femme dont il fut amoureux, est Marie Clotilde, sur d'un de ses
amis au lycée. Elle est morte à 17 ans d'une méningite
tuberculeuse.
" Cela a été un grand amour,
je rêve d'elle encore maintenant plus d'un demi siècle après... "
Elle lui a inspiré " Élégie "
dans le recueil Sphère
qui commence par ces vers :
" Il y eut les violettes
dont tu me fis l'honneur "
et se termine par :
" J'ai appris qu'une morte
Soustraite , évanouie
Peut devenir soleil. "
Plus tard, c'est
par l'intermédiaire de son frère qu'il rencontre Alice Munch
(1898-1980), qui deviendra sa femme.
Comme ses parents
ne peuvent plus l'aider, il passe le concours de surnuméraire dans
l'Enregistrement du Domaine et du Timbre et est nommé d'abord à
Huningue, dans le Haut-Rhin. Il devient fonctionnaire et le restera jusqu'à
sa retraite en 1963.
Pendant les années passées dans l'est de la France comme
fonctionnaire, il continue d'écrire et se pose beaucoup de questions
sur l'écriture.
" J'avais peur que mes vers ne soient
que de la prose "
" Je crois que mon vers est neuf et que
ce n'est pas de la prose, mais des vers. " ou " Ce
qu'il faut c'est donner la sensation vécue, être aussi simple
et vrai que possible ".
Le 15 septembre
1930 il épouse Alice Munch. Il ne garde plus beaucoup de temps
pour écrire. En 1932, c'est la naissance de sa première
fille, Simone.
Il passe des concours dans l'administration et devient receveur-rédacteur
à Mézières où il vote pour la première
fois à gauche.
Il commence son oeuvre de traducteur d'auteurs allemands : Trakl, Goethe,
Lenau et Hölderlin tout en continuant à écrire des
textes qu'il envoie à Jean Paulhan, par l'intermédiaire
de Pierre Neyrac, qui lui fait dire :
" Il y a des trouvailles, mais cela manque
terriblement de ton, de rythme et de présence ".
En 1934, c'est
la naissance de sa deuxième fille, Irène.
En février 1935, il est nommé à Paris, au Ministère
des Finances, rue de Rivoli, affecté au service de la défense
des droits de l'administration devant la Cour de Cassation.
Il est ainsi amené à côtoyer tout le fonctionnement
du monde du capital. Il rédige des mémoires pour la Cour
de Cassation, et des " codes ".
Mais il continue en poésie...
Presque inconnu du milieu littéraire parisien, à Paris,
il rencontre Jean Follain, au café Bonaparte et ce sera le début
d'une longue amitié. Il q l'introduit auprès des poètes
du groupe Sagesse : René Massat, René Méjean, Maurice
Fombeure, Fernand Marc... et plus tard Jules Supervielle
" On était tous des inconnus. La
réunion était publique, venait qui voulait. On se lisait
des textes. Le plus souvent des poèmes. C'est là que j'ai
eu mes premiers supporters... "
" L'amitié de Follain a été déterminante ".
Aux élections
de 1936, Il vote communiste, c'est la guerre d'Espagne qui le pousse à
se détacher de la religion car il n'accepte pas l'attitude de l'église
vis à vis du fascisme espagnol.
Dans le même temps, il lit Marx, mais aussi le Barzaz Breiz. Jusqu'à
la déclaration de guerre, il publie seulement quelques poèmes
dans des revues " amies ".
" Il arrive qu'on me demande comment je
suis arrivé à me faire publier alors que j'étais
un inconnu. "
Les hasards des
rencontres, au début de la guerre le conduise jusqu'à Marcel
Arland
C'est par son intermédiaire que Terraqué
sera publié en 1942 chez Gallimard que dirige Drieu La Rochelle...
Il rédige à la fois des précis de procédures
et de droit pénal et publie " Ensemble ", aux Cahiers
de l'École de Rochefort (René
Guy Cadou) puis Les
Rocs dans
la collection " Poètes ", avec une préface
de Jean Follain.
Fin 42, il adhère
au Parti Communiste Français, clandestin, par l'intermédiaire
d'André Adler et fait de la Résistance civile : faux papiers,
transports de documents. Il collabore à L'Honneur des poètes,
dirigé par Paul Eluard, fonde la cellule clandestine du P. C. F.
du Ministère de l'Économie Nationale et fréquente
Paul Eluard qui l'emmène chez Fernand Léger et Pablo Picasso.
4- Après
guerre jusqu'au soir de vie :
En 1945, il est
appelé au Cabinet du Ministre communiste de l'Économie Nationale
François Billoux. Il est chargé d'élaborer les lois
concernant les dommages de guerre et les problèmes d'urbanisme.
On le retrouve dans différents ministères communistes jusqu'à
l'éviction des ministres communistes du gouvernement en 1947 où
il retourne à L'Inspection Générale de l'Économie
nationale.
Il mène
de front son activité d'écrivain-poète engagé,
voyage dans le monde entier ou il fait des conférences, reçoit
des prix pour son uvre et poursuit sa carrière de fonctionnaire
jusqu'à sa retraite en 1963.
En 1960, il est proposé comme inspecteur général
à condition de quitter le PC.
" Vous m'obligez donc à rester
dans ce foutu parti... "
Il met très
longtemps avant de prendre des distances par rapport aux évènements
à l'est et reconnaîtra plus tard ses erreurs de jugements.
De 1960 à
1967 il fait un retour en Bretagne pour des séjours d'été
à Groix. Il y a publication du recueil Carnac
commencé en Corse..
Dix ans après, il écrit Du
Domaine :
Ce livre recueille beaucoup de souvenirs d'enfance en Bretagne.
Il est fondateur
de l'union des écrivains en 1968...
En 1975, est promulguée la Loi du 31 décembre qu'il a contribué
à élaborer sur le statut de l'écrivain et la Sécurité
Sociale. C'est lui également qui incite Jack Lang à créer
un Grand Prix National de poésie.
La liste des prix qu'il reçoit pour son oeuvre, en France et à
l'étranger est impressionnante : Prix Bretagne pour Herbier
de Bretagne.
Grand Prix de l'Académie Française... Il écrit aussi
des textes pour le cinéma...
Il se livre en 1978 dans des entretiens avec Raymond Jean, dans Choses
Parlées,
avec Lucie Albertini et Alain Vircondelet : Vivre
en poésie.
Plusieurs femmes
partageront sa vie : Colomba Voronca, Jacqueline Woh, Marianne Auricoste.
En 1969, il rencontre Lucie Albertini, traductrice du suédois et
notamment d'Ingmar Bergman. À la Mort d'Alice Guillevic, née
Munch, sa première épouse, il se remarie en 1981 avec Lucie
Albertini.
Il va continuer à faire d'innombrables voyages presque jusqu'à
sa mort puisqu'en 1995, il participait encore à une rencontre avec
des poètes français et arabes à Kairouan.
C'est 19 mars 1997
qu'Eugène Guillevic âgé de 90 ans s'éteint,
ses cendres seront dispersées à Carnac. En 2007, la ville
de Carnac a inauguré un site de mémoire au cur d'une
lande néolithique, composé de cinq pierres.
Quelques jours avant, il avait écrit :
" Le temps s'étrangle/ Le temps s'arrête/
Mourons. "
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Guillevic ou la poésie de l'instant
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