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SONGERIES D'UN REVEUR INSULAIRE
de Jean-Marie GILORY, grand in 4° de 216 pp., La Botelleie éditeur,
30 €
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Songeries d'un rêveur insulaire
ÎLE ÉTAIT UNE FOIS…
La mer. Il faut
lire, à voix haute, Songeries d'un rêveur insulaire
de J.-M. Gilory. L'oreille voit la mer. Les couleurs de la mer. Le soleil
sur la mer. La lune et les étoiles. Et le ciel qui se reflète
et s'y regarde et s'y noie, comme en un miroir. L'éternité.
Ah ! Il a bourlingué
dans tous les recueils – ou presque – du XXe siècle et
de ce début du XXIe, notre cher Jean-Marie. Oui, bourlingué
tant et tant et dans d'autres siècles et sous d'autres cieux. Il
sait ce qu'écrire veut dire et, afin de nous montrer la mer et
de nous situer son île, il manie aussi sûrement la plume que
naguère le sextant. Il aime cerner sa poésie d'ourlets d'écume
pour mieux nous faire entendre le chant des sirènes. Il polit ses
mots, comme les marées le font des galets, et il nous les offre
en une floraison de phrases aux pétales chantants.
Jean-Marie Gilory
est passionné de Saint-John Perse sur lequel il a donné
de nombreuses conférences. Dire que son écriture se situe
dans la même veine lyrique et somptueuse que le poète d'Anabase
– poète qui écrivit toujours à la crête
des mots –, ne sera pas pour lui, j'en suis sûr, le moindre
des éloges.
Écoutez.
Sa prose a des ressacs éclaboussant de mots, de soleil et de ciel,
le silence du livre. Écoutez, dans les songeries d'un rêveur
insulaire, comment le rêve d'une île devient, à coups
de crayon, une île de rêve, ou encore comment un petit point
perdu dans l'océan de la mémoire, un infime petit point
égaré dans l'eau des souvenirs se transforme en " l'épique
épiphanie" d'une terre habitée de " chardons bleus
et d'oyats blonds ". C'est l'utopique quête de l'île
d'Utopie et, dans la haute marée des mots, la célébration
sans fin de l'infini des Océans et de l'amour mêlé
du jour et de la nuit, de l'ombre et de la lumière, du ciel et
de la terre avec, dans la douceur des fougères et la tendresse
des algues, le corps de la femme, omniprésent dans la ténébreuse
lumière de la poésie.
Ah ! Cette île...
" Je t'écrivais, te décrivais, t'inscrivais, t'ornais,
te dessinais, te pensais, te gravais, te moulais, te sculptais, te lissais,
t'arpentais à profusion jusqu'à saisir par cœur, par
surprise et par goût les détails affinés, solides
mais flottants de mes multiples méconnaissances ". Connaissance
de sa méconnaissance, c'est l'île du cœur que notre
poète peint et dépeint. " À en mourir,
sais-tu, mon innommée de toute part et de cet autre ailleurs à
définir et à trouver ". Cette île du cœur,
la connaît-on jamais ? Robinson Crusoë que nous sommes,
a-t-on jamais fini d'explorer les côtes de notre île et d'en
fixer les contours, les rochers battus de nos incertitudes, les plages
de sable fin de nos croyances et les grottes insoupçonnées
et insoupçonnables de nos regrets et les criques craquelées
de songes et les roselières de nos désirs ?
" Ô
vase où meurt toute verveine…" Un poète nous parle,
" dans la buée du soir ". Il nous dit un arbre aux
mains de femme. Il nous chante ses rives et ses rêves, ses fleurs
et ses pleurs. Il peint les veines du vent, au hasard de l'azur.
Un poète
nous parle, et c'est la mer, encore la mer qu'il nous donne à voir,
et à entendre, dans une poésie toujours recommencée
et toujours étoilée de couleurs et de sons. Mais elle a
bon dos la mer et, à travers elle – et grâce à
elle – c'est le ciel, les oiseaux, les îles, la terre et l'arbre,
l'arbre et l'homme que le poète célèbre avec son
goût pour le mot rare et juteux dans une approche souvent sensuelle
de la nature et des êtres. Pour cela, il déroulera les draperies
sonores de sa prose en une éblouissante liturgie qui nous conduira
vers un enfant qui marche, pieds nus, dans la mer, et qui se perd dans
le grand dictionnaire des vagues, comme on se retrouve, au petit matin,
dans la barque des mots, en habit d'amiral, godillant vers l'éternel
horizon de la poésie.
Comment, en quelques
lignes, résumer plus de 200 pages d'une prose poétique,
à la fois si légère et si dense ? Reste à
vous inciter, comme le fait Jean-Paul Plantive dans son très beau
texte de quatrième de couverture, à lire les Songeries
d'un rêveur insulaire, " véritable chanson de
geste " et à " prendre les mots comme on prend
la mer : comme on./ile au large. Avec des tangages et des roulis croisés."
ÎLE ÉTAIT
UNE FOIS…
par Jean-Claude A. COIFFARD
Extrait de la revue de poésie contemporaine
7 à Dire
Sac à mots édition
septembre-octobre 2013
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Proses de Bretagne
Hommes et femmes
d'époques, d'âges et de conditions divers, les 72 écrivains
ici retenus nous touchent. Venus souvent de plus loin qu'eux, de plus
loin que le pauvre horizon courbe où se bornent les muraialles
de leurs existences simples, leurs mots poignent au coeur.
Pour cela aussi qui est souffrance et consolation m^mées, nous
avons voulu que leurs vies ici présentées soient brèves
et cependant doucement éclairées – portraits sensibles,
photos tremblées à l'aplomb de notre coeur fragile.
Alain-Gabriel Monot
Alain-Gabriel Monot, professeur
de littérature à l'UBO anime par ailleurs la revue "HOPALA
La Bretagne au Monde"
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Terminus Rennes
Jacques Josse
Dans un tout petit livre, l'écrivain
et poète Jacques Josse (président de la Maison de la poésie
de Rennes) nous mène sur les pas des écrivains qui ont fait
de la capitale bretonne leur port d'attache ou qui y ont fait, simplement,
des passages en coups de vent.
C'est Milan Kundera, le plus célèbre d'entre eux, qui inaugure
cet ouvrage. Le grand écrivain tchèque, qui enseigna à
l'université de Rennes, avait élu domicile dans la célèbre
Tour des Horizons, d'où il pouvait " porter son regard
vers Prague ", raconte Jacques Josse.
Au fil des pages, l'auteur nous indique aussi que Henry Thomas est enterré
au cimetière de l'Est. Que Chateaubriand venait se promener dans
les jardins du Thabor quand il était en formation chez les jésuites.
Que Villiers de l'Isle Adam était interne à Saint-Vincent.
Que Kerouac fit une brève halte à Rennes. Qu'on y vit même,
en des temps plus anciens, Descartes lui-même, dont le père
était conseiller au Parlement de Bretagne.
Des figures d'auteurs plus contemporains, qui ont parlé de Rennes,
qui y ont vécu ou qui y sont passés, apparaissent aussi
sous la plume de Jacques Josse : Jean Rolain, Perros, Jean-Pierre Abraham,
le traducteur André Markowicz, les poètes François
Rannou et Jean-Louis Aven, à propos desquels Jacques Josse rappelle
la fondation de la revue " La rivière échappée "…
Mais aussi Agnès Béothy, écrivain derrière
les murs de la prison des femmes. Il ne fait pas mention, par contre,
de l'étudiant révolté Yvon Le Men qui fit, à
Rennes 2, " ses classes " de futur auteur confirmé.
Mais, au cœur de ce petit livre, il y a d'abord Jacques Josse lui-même,
qui se dévoile par petites touches et révèle, par
son talent d'écriture, qu'il fait, incontestablement, déjà
partie de cette cohorte d'écrivains rennais. Car, on s'en doute
bien, son livre n'est pas un guide littéraire à usage touristique.
Il ne prétend pas à l'exhaustivité. C'est un petit
ouvrage littéraire en soi. Et forcément subjectif.
Poète-travailleur (comme on le dirait d'un paysan-travailleur)
pendant des années au tri postal en zone industrielle sud-est,
Jacques Josse raconte son Blosne : la barre d'immeuble, le 5e étage
où il loge, la vue plongeante sur la ville qui s'endort ("
Assis devant la porte du café, la chat du Panama veille sur la
rue Bigot "). Il nous fait revivre - c'est le plus beau passage
de son livre - la nuit d'ouragan d'octobre 1987 au centre de Rennes.
Le voici, alors que des " diableries sorties des tripes de l'Atlantique
" s'abattent sur la ville, déambulant du côté
de la place Hoche avec son compère-poète Michel Dugué.
" Le tangage de nos corps (nous avions bu de nombreuses bières)
se mêla simplement à celui du dehors ", avoue Jacques
Josse.
L'auteur est un amoureux des ambiances de bistrots. Il nous en restitue
la saveur dans les nombreux romans/récits qu'il a publiés.
C'est le cas, également dans ce petit livre. Il aime raconter ces
bourlingueurs - dont il fait un peu partie - qui, à l'image
de Jean-Claude Pirotte ou Shane Mac Gowan, de passage à Rennes,
préfèrent " laisser les reflets colorés
de leurs brusques embardées disparaître dans la torpeur nocturne ".
Pierre Tanguy
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Le temps qu'il fait
Armand Robin
Que dire, que dire ? Que dire qui
n'amoindrisse, qui n'appauvrisse la richesse du verbe d'Armand l'oiseau
dit Armand Robin ? Parler de la pluie et du beau temps alors ? Si fait.
Larme et rire pour ce Temps qu'il fait où Guillerm et Yann,
Catherine la folle vieille, Hamlet, Clémentine la bonne, le vieil
homme de Kereven, l'enfant transi, le bon Dieu, le Christ, le fou premier
et deuxième et troisième et Tou fou, Jean hiroux, un génie,
Rimbaud, Ophélie, l'homme aimant, la mère Annick, Fanchik
Jouan le père, Maïjann, la liste électorale indépendante,
les farfadines, un suicidé, Bashô, Taï-Po, un paysan,
Pouchkine, Essenine, la fée première et la fée deuxième
et la troisième, Lénine, le pauvre, Taliesin, le prophète,
Merlin et les lavandières nocturnes, la morte blanchelunante, les
témoins parallèles, un homme, l'innocent, les beautés
de la hate, aveugle, voyant, le fils sont au cœur du monde, se violentent,
s'aiment, se détruisent et s'élèvent.
Et aussi le bon chêne, la prairie,
les herbes, la terre, la fougère, la bourrasque, la mer, la brindille
de bruit, les charrettes et aussi le chien, l'hirondelle sglenn ar sklinntinn,
la coccinelle, la jument grise, Threithir et Keingdu, le bœuf, le
chœur des oiseaux sont là de toute éternité,
présents aux hommes qui tantôt écoutent, tantôt
oublient.
Un récitant veiné de ciel bleu et blanc et lent et un récitant
veiné de ciel tremblant et blanc et lent, des préjugés
des prés, une grande colère de cidre, la complicité,
la complainte sautant de brin en brin, le temps qui a la parole, la sonorité
d'effroi, les branches remuées, Armand les poétise pour
n'être pas anéanti.
Le silence et le destin vertical l'accompagnent sur la sente de sa vie
en un temps de carême :
" Dieu qui dormait s'émeut " tant il y a de beauté
de puissance et d'humaine force dans cet oratorio à la musique
sacrée qu'a composé, comme un mystère tragique du
moyen-âge, Armand Robin.
Livre cardinal.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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La Maison d'été
René Guy Cadou
La Maison d'été
est le seul roman de René Guy Cadou écrit de mai 1944 à
mai 1945, période où il était surveillant instituteur
au château de la Forêt, sur la commune du Cellier. Cette propriété
a accueilli de juillet 1942 à juillet 1945 une soixantaine de garçons,
réfugiés de St Nazaire, en internat scolaire. La directrice
du centre Marie Louise Tattevin, une mesquéraise, était
une femme à poigne qui encadrait une équipe de six ou sept
instituteurs, veillant sur les enfants continument.
René Guy Cadou est remplacé fréquemment pour le temps
de classe par Fernand Guériff, il est aussi vaguemestre, fonction
qui lui convient, compte tenu de l'importance qu'il accorde à la
correspondance quotidienne avec Hélène et régulière
avec les poètes de Rochefort. Il écrit aussi de nombreux
poèmes et a le souci de mener à bien son roman.
On retrouve dans cet ouvrage les
souvenirs autobiographiques de Cadou avec le monde de son enfance briéronne,
mais aussi de nombreuses descriptions concernent les lieux et les paysages
qu'il a pu observer pendant l'été et l'automne 1944 sur
la commune du Cellier. Comme dans ses autres écrits, René
Guy Cadou part du réel où s'ancre son imaginaire.
Ainsi, nous retrouvons des noms de personnes - Frangeul, Travers, le Père
Louis dans ses vignes -, des noms de lieux - Bouquet des bois, le Fumet
proche de la Funerie où il aimait aller -, des expressions
locales - le magasin, nom donné à la cave, l'entraide. Les
Cellariens reconnaissent leurs coutumes dans la description précise
des travaux : battage, vendanges et le soir les grands repas en commun
avec les tables encombrées de victuailles, et après les
cerises à l'eau de vie et l'eau de vie sans cerise. Il embellit
la réalité grâce à de nombreuses métaphores
et nous fait apprécier le quotidien de la vie à la campagne
qu'il oppose à la vie parisienne, cette campagne qu'il apprécie
à toute heure du jour et à chaque saison.
Gilles, le héros quitte Paris et prend lentement possession
de la maison d'Amélie et de la campagne, le temps passe en ne faisant
presque rien : quelques grains de soleil éparpillés
aux poules en compagnie du chien Carnage qui dans sa robe fraîche
et luisante ressemble à un marron sorti de sa bogue …Cette
campagne, le poète l'apprécie à toute heure du jour
et à chaque saison. Il nous invite à la regarder avec
ses yeux fertiles : Le soleil promenait sa langue sur les charrues. C'était
un matin de septembre matin déjà frais, avec des nappes
de brumes étendues sur tous les buissons, un matin d'herbes mouillées
: la joue pâle du ciel commençait à rosir, le soleil
sortait de son œuf jaune, un peu ébouriffé, embarrassé
dans ses plumes et réveillait la petite maison qui roulait sa coquille
parmi les roses. Les vignes, jeunes, écervelées, capricieuses
comme des chèvres chargées de grappes déjà
lourdes s'offraient des couleurs automnales.
La figure d'Hélène est sensible dans le roman. Il oppose
la relation charnelle où on se donne sans amour avec le grand Amour
que symbolise la rencontre de Gilles avec Agna. Mais il faudra mériter
la Maison d'été à travers bien des épreuves.
Yvette Guyonnet
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En principe
François de Cornière
Voilà, une amie vous passe
un livre, un soir de fin d'été. De Cornière, le nom
vous dit quelque chose, vous aviez déjà lu Boulevard
de l'océan, de beaux instantanés
subtilement donnés aux lecteurs, une corde de l'âme s'en
trouve touchée car les mots disent bien doux ce qui se passe à
côté de sa page.
Celui-ci, c'est En principe
et date de 1992. Le "principe" n'en est pas tellement cette
loi de portée universelle pour l'auteur, non, non, non, ce serait
plutôt l'origine première d'une chose, le début absolu,
ce qui est prioritaire, supérieur, dirait le gros livre, ce à
quoi personne ne s'intéresse plus car il est si loin, si caché
très au fond. Avec toujours de petits textes, grands pourtant,
au fil de l'écriture il se dit des choses derrière les choses.
Elles affleurent au détour des mots que l'inconscient inonde vous
savez bien :
"Le petit escalier qui descendait du quai…L'eau glaciale –
une tenaille ! – qui bloquait le souffle. Il fallait y aller.
Vite… le soleil gris de Saint-Malo, le soleil qui montait, les cordes
des corps-morts auxquelles on s'accrochait...". Comme ils sont drôlement
nommés ceux-là pour retenir le navire.
"Après le mot d'avant" vous laisse à la félicité
naïve de l'enfant à qui l'adulte ne dit pas les gravités
qu'il sait.
Bonheur est subreptice et tant difficile à dire qu'en y changeant
ses premières lettres il se trouve mal.
François de Cornière fait sa cuisine de tous petits temps
d'arrêt qu'il décline à la couleur d'une encre pâle
et fragile. Rien de criard non plus que de voyant. Une grande délicatesse
timide et pudique à oser amener le regard du lecteur là
où ce dernier n'avait qu'entrevu.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Le premier mot
Vassilis Alexakis
Une sœur que son frère
enjoint d'aller à la quête du premier mot, voilà la
trame.
Jeune encore mais malade, il meurt. C'est
maintenant le lot de la sœur aimante de faire deuil. Rien vraiment
ne peut dire ni la mort ni la douleur de la séparation.
Paradoxe, les mots, tous les mots, de tous les pays, de tous les temps,
les mots en signe du muet, les qui se ressemblent à travers les
âges et les frontières, les qui germent dans de vieilles
racines, ceux des poèmes et ceux de la guerre, ceux de l'amour
et ceux qui se mêlent aux larmes, les mots sortis de la bouche vivante
disent tout : depuis le cri de l'enfant né jusqu'au râle
d'adieu, ils disent le monde dans sa pesanteur et dans sa grâce.
Mais au moment ultime ils ne servent de rien, le silence se fait, il faut
que la peine s'écoule. L'autre n'est plus qui partageait les jeux
de l'enfance et autres histoires.
Ne servent-ils à rien ? Où
sont-ils les fils de la toile qui s'est peu à peu tissée
sur le métier ?
À travers le menu des rencontres, des regards posés, des
objets, des saveurs subreptices, des désirs, d'une quantité
de petits et grands savoirs, une longue errance commence dans le langage
: si les mots ne peuvent dire, cela se fera malgré eux. La mort
n'est pas la mort du verbe. Il aimait à comparer les langues le
frère professeur grec, elle aimera donc les mots et en fera de
l'écriture.
Même la muette fait entendre sa voix.
Même sous la junte se dit la révolte.
Même emmurée Antigone parle qui chérit son frère.
La vie est dans le mot, une fois le "
r " retiré, elle vogue d'une rive à l'autre inlassablement.
Fût-il dit dans la joie le premier
mot ? Dans la souffrance, dans un moment de sagesse, fût-il soufflé
pour attiser le feu ? Pour s'émerveiller des couleurs d'un papillon
?
Le roman de Vassilis Alexakis a dimension
de mythe : le premier mot et le dernier sont plus ou moins l'infini. On
est recueilli.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Journal
Katherine Mansfield
Katherine Mansfield, pseudonyme
de Catherine Bauchamp, est née en 1890. Fille d'un banquier de
Nouvelle-Zélande, elle écrivait déjà petite
fille dans une revue de son école. En 1911 elle publie son premier
recueil de contes et ne cessera d'écrire malgré sa santé
délicate. La tuberculose la terrasse à 34 ans à Fontainebleau.
Sa vie libre est traversée par le tragique. " C'est une blessée,
mais d'autant plus avide que souvent déçue " écrit
Marcel Arland dans la préface qu'il consacre à l'édition
complète de son journal.
Après la déception d'une première vocation : la musique,
l'échec d'un premier mariage sitôt rompu qu'essayé,
une grossesse cachée puis un enfant mort-né, le revers de
son indépendance : les problèmes d'argent, la pleurésie
qui se déclare, la mort d'un jeune frère et la déception
amoureuse, la seule grâce est dans l'écriture.
Le 31 mai 1919 entre d'interminable crise de toux, la fièvre et
d'intenses douleurs aux poumons, parlant de son écriture, elle
consigne :
" Je ne demande vraiment que le temps d'écrire mes livres.
Après il me sera égal de mourir. Je ne vis que pour écrire.
Le monde adorable (mon Dieu, qu'il est beau ce monde extérieur
!) est là : je m'y baigne, je m'y rafraîchis. Mais j'ai le
sentiment que j'ai un devoir à remplir ; quelqu'un m'a fixé
une tâche que je suis obligée de mener à sa fin. Qu'on
me laisse l'achever sans hâte en lui donnant toute la beauté
que je puis."
Et plus tard :
" Serais-je capable d'exprimer un jour mon amour du travail, mon
désir de devenir un meilleur écrivain, mon vœu fervent
d'un labeur plus consciencieux ? Elle me tient lieu de religion,
car elle est ma religion… Je suis tentée de m'agenouiller
devant mon travail..."
Poussée par un besoin impérieux de sincérité
dans son travail d'écrivain, elle s'essaye à en appliquer
aussi la mesure au quotidien: " L'honnêteté (pourquoi
donc ?) est la seule chose qu'il vous semble tenir pour la plus précieuse
que la vie, l'amour, la mort et tout. Elle seule demeure. Ô vous
qui viendrez après moi, voudriez-vous le croire ? À la fin,
la vérité est la seule chose qui vaille d'être possédée
: elle est plus émouvante que l'amour, plus joyeuse, plus passionnée.
Elle ne peut vous trahir. Rien ne tient, qu'elle. Moi en tous cas, je
lui donne ce qui me reste à vivre et seulement à elle. "
À l'intransigeance morale vient s'apposer de surcroît une
perte de confiance dans le domaine de l'écriture, perpétuellement
insatisfaite, elle procède régulièrement à
une auto analyse : " Je ne crois pas être un bon écrivain
; je me rends compte de mes défauts mieux que n'importe qui pourrait
le faire…On dirait que j'ai dans le cœur un vilain vieil orgueil
; une racine d'orgueil qui pousse un robuste surgeon…Il y a une espèce
d'excitation intérieure qui ne devrait pas exister. Calme-toi,
clarifie-toi. Rien de ce que j'écrirai dans cet état n'aura
de valeur. "
Son esprit troublé est constamment guidé par la rigueur
et la contrainte " Les mauvaises herbes pullulent quand on est
négligent. Il faut que je fasse entrer l'ordre et la lumière
dans mon jardin, il faut à tout prix que je plante ces bulbes,
au lieu de les laisser (ô honte !) pourrir dans les allées.
"
Pourtant la maladie tenaille son corps enfiévré qu'elle
veut malgré tout maîtriser : " si la souffrance n'est
pas réparatrice, je veux la rendre telle. Je veux apprendre la
leçon qu'elle enseigne. Ce ne sont pas là de vaines paroles.
Ce ne sont pas des consolations de malades. La vie est un mystère.
L'atroce douleur s'évanouira. Il faut que je me tourne vers le
travail. Il faut que je transforme mon supplice en quelque chose, que
je le change…
Ô, Vie ! Accepte-moi, rend-moi digne, apprends-moi !
J'écris ceci. Je lève les yeux. Les feuilles frémissent
dans le jardin, le ciel est pâle et je me surprends à pleurer.
Il est difficile, il est difficile de faire une bonne mort…Vivre,
vivre, voilà tout. "
La vie de Katherine Mansfield, aux prises avec les affres de la création
littéraire et les tourments de la tuberculose se fraye un chemin
étroit de respiration spirituelle. Du moins dans cet espace trouve-t-elle
l'inspiration qui fait défaut à ses poumons malades : "
Viens mon Invisible, mon Inconnu, causons ensemble. Oui, voilà
deux semaines que je n'ai rien écrit… une espèce de
confusion règne dans mes états de conscience… Mais
tout cela descend plus profond… La vase du fond a été
remuée… Il faut tout recommencer. Il faut que j'essaie d'écrire
simplement, pleinement, librement… et surtout demeurer en communion
avec la vie. "
Celle qui ne cessait d'être en exode, allant ici et là sans
être jamais bien, trouvera à s'enraciner dans une terre d'exil
féconde : les mots. Si la géographie vitale est de plus
en plus restreinte, la chambre et le lit, l'espace intérieur, lui,
s'élargit. Katherine Mansfield s'applique à user de légèreté
et de distance vis à vis de son mal et d'elle-même : "
Quand nous sommes capables de ne pas prendre nos échecs au sérieux,
cela veut dire qu'ils ne nous font plus peur. Apprendre à rire
de soi-même est chose d'une immense importance. Ce que Chestov appelle
" un brin de familiarité aisée et d'ironie " à
sa valeur. "
Sentant sa mort proche : " La source de ma vie est tellement amoindrie
que c'est à peine si elle n'a pas tari. ", elle maintient
ferme son combat d'écriture, seule capable de l'apaiser : "
Ah ! Déjà écrire m'a redonné un peu de calme.
Dieu soit béni de nous avoir donné la grâce d'écrire.
Elle peut encore ainsi tenir dans " la vie, la vie chaude et ardente
-m'y enraciner- apprendre, désirer, savoir, sentir, penser, agir.
Voilà ce que je veux. Rien de moins. Et voilà à quoi
je dois m'efforcer. "
Le 18 octobre 1922 la plume de Katherine Mansfield laissait goutter sur
la page ces quelques mots, presque en haïku :
" Dans le jardin d'automne, les feuilles tombent. Petits pas qui
se posent, comme un chuchotement léger. Ils s'envolent, tourbillonnent,
virevoltent, frémissent. "
Auteur de nombreuses nouvelles, de poèmes, d'un journal et de nombreuses
lettres, c'est une grande admiratrice de Tchékhov à qui
son art doit beaucoup. Pour elle un incident infime devient l'occasion
d'une exploration révélatrice de l'inconscient. Elle est
du siècle de Freud, il n'est donc pas étonnant que l'on
dise d'elle qu'elle est une clinicienne de l'âme.
Dans " L'art de Katherine Mansfield. Extrait de Histoire de la littérature
anglaise de L. Cazamian, l'auteur écrit :
" Elle a découvert, après tant d'autres, le royaume
de l'inexprimé… La méthode, très consciente,
est toute d'instinct. Choisissant les moments où, sous la lumière
quotidienne s'éclairent par transparence les caractères,
elle les fait vivre, agir, parler selon une nécessité persuasive,
et laisse se dégager de leur mémoire ou de leur subconscient
leur passé comme leur avenir. Ils ne nous sont expliqués
que du dehors ; ils s'expliquent eux-mêmes, le jeu de leurs réactions
naturelles créant en nous, par la grâce d'un art souverain
et simple, une divination mobile de leur âme ".
Tel est l'univers des nombreuses nouvelles de Katherine Mansfield.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Le Dieu
manchot
José Saramago (1922 - 2010. Prix Nobel de littérature
en 1988)
Sans doute est-ce comme cela qu'est
née l'Odyssée. Un homme, plus qu'il n'écrit, parle
avec générosité et un monde existe.
Chaque fois qu'un homme parle avec générosité, il
crée un monde et tout est possible. Dieu est manchot et c'est heureux,
il laisse la place… " laissons à Dieu le champ qui
appartient à Dieu… et constituons notre propre champ, le champ
des hommes, une fois celui-ci constitué, Dieu daignera nous visiter
et alors sans doute le monde sera créé ".
Mais que ce soit machine volante merveilleuse ou palais monacal écrasant,
là n'est pas le monde. Il est, par exemple, dans l'odeur de clair
de lune et de paille remuée ou Blimunda Sept-Lunes la voyante et
Balthazar Sept-Soleils le manchot se sont aimés " car
entre l'amour de ceux qui ont passé la nuit ici et la sainte messe
il n'y a pas de différence et si différence il y avait la
messe serait perdante. "
On a parlé de blasphème… et même chassé
Saramago de son pays pour cela. Petites âmes noires qui ne peuvent
accueillir aucun chant d'amour. Ni le souffle déployé d'une
langue épique et pourtant si tendre, si aimante, sans doute même
pour qui ne la mérite pas.
Gilles Herlédan
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Le bonheur-du-jour
Jacques Brosse
Il était l'ami de Marcel Camus et de Claude Lévi-Strauss.
C'était un naturaliste reconnu. Les oiseaux étaient ses
amis, on le sent à lire Le-Bonheur-du-jour.
Les oiseaux, car déjà il avait écrit Le chant du
Loriot ou l'éternel instant, mais aussi les arbres : on lui connaît
une Mythologie des arbres et un Larousse des arbres et des arbustes.
Après son Pourquoi naissons-nous ? et autres questions impertinentes,
il a " narcissé " le papier une dernière fois
pour son Bonheur-du-jour et le notre aussi, avec la pudeur et " La
peur constante dans tout ce que j'écris d'en avoir trop dit, ou
pas assez, pour me faire comprendre. "
Comme des pensées pour une philosophie du tous les jours, ces fragments
lumineux forment des petites aubes pour notre éveil au simple et
au-delà :
" De dix heures du matin à dix heures du soir, j'ai fait apparemment
beaucoup de choses. Une fois couché, une seule me semble utile
: en vue des labours, j'ai dépiqué et mis en nourrice les
six poireaux survivants du potager. "
" Sur le seuil je les appelle : " Mésanges, mésanges
! " elles accourent en foule, à tire-d'aile, de tous les points
du ciel, jusqu'à mes pieds. Je les nourris et elles m'angent. "
Jacques Brosse a lâché sa plume peu après, il avait
86 ans.
On peut garder son livre sur la table de nuit, dans la cuisine ou autre
endroit.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Petit Almanach des plantes improbables et merveilleuses
de Michel Guérard et Jean-paul Plantive
Chez Ginkgo Éditeur on pourrait
utiliser l'exergue de François Rabelais dans le prologue de Gargantua*.
Car on s'amuse sérieusement à écrire, on écrit
vraiment pour de rire, on jubile, on se gondole, on se désopile,
on s'esclaffe, on glousse, on riote, on se poile, on s'égaye itou
le lecteur.
Mais attention les auteurs sont gens recommandables : ils ont déjà
produit deux autres almanachs, l'un, des mestiers improbables et disparus,
l'autre, des grands inventeurs improbables et méconnus. Michel
illustre tandis que Jean-Paul rédige, et l'on sait tout sur le
liseron des poteaux, le pteris venerabilis, la moulve dentelée,
le semperrigidum vermiculus et la pariétaire ombrageuse. L'imaginaire
de ces deux-là n'est pas sans rappeler l'encyclopédie de
Luigi Sérafini qui, sur le modèle des sommes scientifiques
médiévales, avait composé un ouvrage totalement fantaisiste
dont l'alphabet lui-même était inventé.
Curieux spécimens que ceux
de cette collection Biloba, qui entraîne audacieusement le lecteur.
* Mieux est de ris que de larme écrire
Pour ce que rire est le propre de l'homme
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Une histoire de la lecture
de Alberto Manguel
C'est un livre savant au goût
savoureux d'aventure. Alberto Manguel est passeur de sa passion : les
livres. Chaque étape de son errance dans l'écriture des
hommes est pour le lecteur une oasis où il peut étancher
sa soif. En ouvrant son ouvrage, on entre dans les bibliothèques
du monde, on est ami du plus lointain scribe et de la plus méconnue
romancière. Il nous fait croiser la route de Charles d'Orléans,
Ménandre, Virginia Woolf, Richard de Bury, Dante, Avicenne, Saint-Augustin,
Jane Austen, Rudyard Kipling, Charles Dickens, Dame Murasaki, Mélanie
la jeune et quantité d'autres, tant Alberto Manguel est un érudit.
Et l'on retiendra que :
" Dans toute société alphabétisée, l'apprentissage
de la lecture représente en quelque sorte une initiation, la sortie
ritualisée d'un état de dépendance et de communication
rudimentaire. L'enfant qui apprend à lire est admis dans la mémoire
commune par la voie des livres, et découvre ainsi un passé
partagé qu'il ou qu'elle renouvelle, à un degré plus
ou moins grand, à chaque lecture. C'est ainsi que dans la société
juive médiévale, le rituel de l'apprentissage de la lecture
était célébré de façon explicite. "
Alberto Manguel.
Que l'on enduisait de miel une ardoise sur laquelle était gravé
l'alphabet hébreu puis on la faisait lécher à l'enfant
en âge d'apprendre et on écrivait des versets bibliques sur
des œufs durs épluchés que l'enfant mangeait après
les avoir lus.
Qu'au XIVème siècle à Dringenberg, bien que la calligraphie,
l'art du bel écrire, ne fût jamais négligée,
la capacité de lire couramment, sans faute, avec intelligence et
habileté à extraire du texte la moindre goutte de sens représentait
pour Crato Hofman diplômé de Heidelberg, la priorité
absolue. Il était perçu par ses élèves comme
joyeusement sévère et sévèrement joyeux.
Que Kafka écrivait en 1904 à son ami Oskar Pollak : "
Il me semble d'ailleurs qu'on ne devrait lire que les livres qui vous
mordent et vous piquent… un livre doit être la hache qui brise
la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois. "
Qu'au Xème siècle, lorsqu'il partait en voyage, à
dos de chameaux, le grand vizir de Perse Abdul Kassem Isma'il faisait
transporter avec lui ses dix-sept mille volumes. Les quatre cent bêtes
étaient entraînées à marcher en ordre alphabétique.
Que l'on peut considérer comme étant le premier roman le
dit du Genji de dame Murasaki. Il fut écrit au tout début
de l'an 1000.
Que : " Lu à haute voix devant un auditoire, un texte n'est
plus exclusivement déterminé par la relation entre ses caractéristiques
intrinsèques et celles de son public arbitraire et toujours différent,
puisque les auditeurs n'ont plus la liberté (qu'auraient les lecteurs
ordinaires) de revenir en arrière, de relire, d'attendre, et de
connoter le texte par leur interprétation personnelle… Les
lectures d'auteurs peuvent devenir tout à fait dogmatiques. "
Alberto Manguel
Que c'est pendant ses très nombreuses années de captivité
que le prince et poète Charles d'Orléans écrivit
nombres de ses poèmes.
Que Dante faisait l'apologie de la langue vernaculaire… en latin…
Que Dickens organisait des tournées de lectures. L'une d'entre
elle comporta quatre-vingt lectures dans plus de quarante villes. Il lisait
dans des entrepôts, des librairies, des bureaux, des halles et des
hôtels. Dans les marges de ses livres il annotait des consignes
: joyeux, sévère, montrer du doigt, tendre le bras vers
le sol, frémir… Puis il saluait et quittait la salle en sueur.
Que : " Les propriétaires d'esclaves (de même que les
tyrans, dictateurs, monarques et autres détenteurs illicites de
pouvoir) étaient bien convaincus de la puissance de l'écrit.
Ils savaient, beaucoup mieux que certains lecteurs, que la lecture est
une force qui n'a besoin que de quelques premiers mots pour devenir irrésistible.
Quiconque peut lire une phrase peut tout lire ; plus important, ce lecteur
a désormais la possibilité de réfléchir à
la phrase, d'agir sur elle, de lui donner un sens. " Alberto Manguel
Qu'à Francfort, le jeune Goethe fut témoin de la destruction
d'un livre par le feu, il eut l'impression d'assister à une exécution
"Voir punir un objet inanimé, écrivit-il, est une chose
vraiment terrible."
Qu'à Berlin, quelques décennies plus tard Joseph Goebbels
faisait brûler plus de vingt mille livres devant un public enthousiaste
en disant "…c'est une action forte et symbolique ". Il
s'agissait des œuvres de Sigmund Freud, John Steinbeck, Marx, Ernest
Hemingway, Jack London, Berthold Brecht, Thomas Mann, Marcel Proust.
Que PHILOBIBLON est le nom que donna Richard de Bury, né en 1287,
à un de ses ouvrages. " Dans les livres, écrivait-il,
je trouve les morts comme s'ils étaient vivants… Des livres
viennent les lois de la paix…Toute la gloire du monde serait enfouie
dans l'oubli, si Dieu n'avait donné aux mortels ce remède
que sont les livres."
Que Saint-Augustin fait la louange de Mélanie la jeune dans une
de ses lettres. Née vers 385 elle a vécu à Rome,
en Égypte et en Afrique du nord. Elle aimait passionnément
les livres et les recopiait.
La ferveur de Alberto Manguel et sept années de patient travail
ont abouti à ce présent ouvrage : qu'il en soit loué.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Ah ! Monsieur Capek, dommage que
vous soyez mort en 1938 : on serait allé voir votre jardin... Heureusement
que vous avez semé entre les pages de votre livre des graines volubiles
jusqu'à nous.
Après vous avoir lu, on se prend à regarder au creux de
l'hiver les mottes les plus nues comme des promesses chaleureuses de couleurs,
de parfums et de goûts. On rit aussi de bonne grâce à
vos descriptions "vraies de vraies" du jardinier éternel.
On est touché enfin par la candeur de votre regard sur les fleurs,
bulbes et autres semences.
Philosophe de l'herbe et des abeilles, vous savez trouver dans un carré
de jardin, un monde que bien des rayons de bibliothèque ne sauraient
contenir.
Vous dites avec une belle légèreté des choses graves.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
Gilles Herlédan
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Karl
Kraus |
Les derniers jours de l'humanité,
Agone |
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Vidal et les siens
On connaît le sociologue,
engagé tout jeune homme, dans la Résistance puis naturellement
dans le combat "progressiste". Il prend rapidement, et bien
avant d'autres esprits illustres, ses distances avec le stalinisme tout
en restant de gauche. Très vite, il va s'intéresser aux
pratiques culturelles populaires encore dédaignées par les
intellectuels. On connaît aussi sa participation à l'enquête
"totale" menée par le CNRS à Plozévet.
E. Morin va se consacrer de plus en plus précisément à
une réflexion sur la complexité qu'il développera
dans son œuvre La méthode (6 tomes de 1977 à 2004).
Complexité qui va de la nature à l'éthique. De quoi
mettre en question tous les systèmes clos, totalitaires.
Cette ouverture intellectuelle et de cœur, sans doute la doit-il
à son histoire personnelle et à ses racines culturelles.
Avec Vidal et les siens, nous
pouvons le découvrir dans un récit chaleureux, picaresque
parfois, profondément sensible et au fond toujours émouvant.
Une sorte d'hommage à des hommes et des femmes, bien modestes,
que pendant des siècles l'Histoire a pétris ou plutôt
broyés et qui n'ont pourtant jamais renoncé à croire
– au moins dans la vie – à aimer, à travailler
et même rire !
Vidal est son père (Morin est le nom qu'Edgar a pris pendant la
Résistance) né à Salonique dans la communauté
Séfarade, héritière des Marranes réfugiés
en Grèce aux confins de l'Asie. Dans ce creuset on fond les langues,
les cultures. On est toujours soi-même parce que toujours un peu
(un) autre. En effet, rien de binaire, rien d'exclusif ne permettrait,
là, de vivre.
Après une belle perspective historique jusqu'à l'aube de
la Renaissance, c'est le 20e siècle qui se développe devant
nous, tel que presque jamais aucun auteur n'avait pris la peine de la
considérer du point de vue de ces "étranges étrangers".
Pourtant la vie de Vidal, de ses parents, de sa famille et de ses familiers
est – pour reprendre un titre de Morin – en quelque sorte comme
un Paradigme perdu.
Peut-être est-elle aussi, au moins autant qu'une évocation
du passé, une salutaire invitation à prendre garde pour
des temps futurs qui... auraient déjà commencé !
Gilles Herlédan
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Per-Jakez
Hélias
Les autres et les miens
L'auteur du célèbre
Cheval d'orgueil nous livre ici une présentation du pays
Bigouden et de ses us et coutumes, ainsi qu'une série de contes
dont on sait qu'ils ont bercé son enfance. Enfin, il évoque
son travail de "collecteur" magnétophone en main pour
la radio.
La présentation de la Bigoudénie mérite
à elle seule la lecture de l'ouvrage. Le ton est d'une rare vivacité
et chaque portrait est dessiné avec une acuité étonnante.
On croit entendre l'accent, on "voit" les attitudes –
surtout si le souvenir de quelques séjours dans cette partie
de baie d'Audierne est présent à l'esprit.
P.-J. Hélias est un conteur et ceux qui l'ont entendu en témoignent
sans restriction. Alors, il a voulu nous faire don de ses trésors.
Il faut dire que parfois le passage de la parole à la plume asséche
le propos. Ce qui est fait pour être dit et entendu "maigrit"
sur la papier. Mais aussi, comment transmettre quand la source
– les locuteurs en situation effective de contage – devient
si ténue ?
Gilles Herlédan
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" Le monde nous gratifie de
peu de chose à présent, il semble n'être que vacarme
et angoisse; cependant l'herbe et les arbres continuent de pousser. Et
même si un jour la terre entière est recouverte de blocs
de béton, le grand ballet des nuages se poursuivra dans le ciel;
ici et là des hommes continueront d'ouvrir grâce à
leur art la porte d'accès au divin. "
Entre autres textes regroupés par l'éditeur pour constituer
un éloge de la vieillesse, ce bref extrait du sage Hermann Hesse
à l'âme d'enfant.
Et aussi : relire " Lachapelle rose avec son petit auvent "
dans Description d'un Paysage* où l'auteur lors de ses promenades
quotidiennes en montagne prétexte le lieu pour une déambulation
intérieure, " une géographie existentielle ".
J. Corti, coll. Les massicotés
Marie-Laure Jeanne
Herlédan
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Albert Cohen
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Oh ! vous frères humains,
Folio |
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"... qui oserait scier la
branche qui le porte ?..."
" c'est alors, fût-ce qu'une seconde, une minute au plus, Dorme
ne le saura jamais, qu'un grand vent fit trembler la forêt de ses
nerfs, ..."
" Désirez-vous l'éternité ?
- Quelqu'un la désire au fond de moi"
Le feu brûle déjà en dedans. Dans Les mots à
la gorge un seul suffit, crié du fond de l'âme, un non à
la Bonhoeffer. Le mot qui délivre dit Aragon ou celui qui enchaîne.
L'enchaîné va au supplice car la voix s'est frayé
un chemin, cela qui en lui fait vérité. Chemin de croix
qui mène dans l'espace infini, " à l'extrémité
de l'allée verte " vers le flamboiement, le feu sacré.
et aussi L'Exode, Le Plus petit
abîme... et tant d'autres titres de l'œuvre de Jean Sulivan
Marie-Laure Jeanne
Herlédan
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Primo
Levi |
Si c'est un homme,
La trêve, Le système périodique,La clef à molette,
Maintenant ou jamais, Conversations et entretiens, Robert Laffon, coll.
Bouquins |