Poésie...
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Le chant
d'amour d'Hélène Cadou
" Il y a une vie
après la mort ". Les
mots sont de l'écrivain Jean Rouaud concluant la préface à la réédition
des deux premiers recueils de poésie d'Hélène Cadou. Cette " vie après
la mort ", c'est celle qu'entrevoit Hélène dans son évocation de la
figure de l'être aimé, le poète René Guy Cadou, son compagnon disparu à
la fleur de l'âge.
Hélène Cadou a 34 ans quand elle publie, chez Seghers en 1956, Le bonheur du jour. Elle a 36 ans à la publication, en 1958 chez le
même éditeur, de sa Cantate
des nuits intérieures.
René Guy est mort à 31 ans, en 1951, après cinq ans de vie commune avec
Hélène du côté de Louisfert. " Quand
un homme/ Fut heureux sur la terre/Même mort il se souvient de son amour ", se rassure Hélène Cadou.
Comment ne pas voir, dans ces deux recueils, la réponse d'une amoureuse
à celui qui, dans Hélène ou le règne végétal, disait son émerveillement
de vivre avec l'être aimé (" Je
t'attendais ainsi qu'on attend les navires/ Dans les années de
sécheresse quand le blé/ Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans
l'herbe… ")
Hélène Cadou vit le deuil (" J'ai
froid mon Dieu j'ai peur ").
Un deuil tressé d'espérance et, au fond, d'une forme de gratitude. " C'est ici l'au-delà des choses/Entre la rose
trémière et l'océan des blés/Il est en nous cet azur triomphant ". Mais il y a, quoi qu'on fasse, cette distance
créée par la disparition (" Les
appels muets de la solitude
"). Hélène Cadou n'esquive pas la douleur. Elle l'assume et interroge
l'avenir. " Je suis
plus seule au bord du souvenir/Que l'émigrant perdu sur l'océan des
mers/Saurai-je un jour retrouver cette place/D'herbe où tu m'attends/A
l'heure basse du silence ?
".
À la lecture de ces vers, on a la troublante sensation qu'ils ont été
soufflés à l'oreille de la femme aimée par le disparu lui-même ?
Comment ne pas toucher ici du doigt la connivence profonde entre ces
deux êtres ? Chez les deux, la même faculté à se mouvoir dans un monde
empli de signes et la même capacité à envisager une autre vie emplie de
" fontaines
familières ", de " sommeil limpide sous les arbres ", de " paroles
ensoleillées comme des abeilles
". Le Paradis, en somme ? Qui sait…
Merveilleuse Hélène Cadou qui inaugure avec ces
deux recueils, opportunément réédités par Bruno Doucey, une vie placée
entièrement sous le signe de la poésie. Elle s'acharnera à faire
connaître et à faire vivre l'œuvre de René Guy. Elle publiera,
elle-même, une vingtaine de livres. " Est-il vrai qu'il y ait au-delà des nuages/Une
demeure pleine de voix très chères/Des soirs penchés sur les tables
amies/Et des rencontres tout comme dans cette vie ", interrogeait la femme de 36 ans. A la lire, on
se dit que la réponse ne fait aucun doute.
Pierre TANGUY
Hélène Cadou vient de disparaître à l'âge de 92 ans
(63 ans après René Guy): j'avais
rédigée cette note de lecture en décembre 2012. Je vous la livre à
nouveau en forme d'hommage à Hélène.
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La Bretagne des écrivains, de Vannes à
Brest
Ouvrage conduit et coordonné par
Alain-Gabriel Monot
" Bretagne est poésie ",
disait Marie de France. " Province de l'âme ", affirmait Julien Gracq.
On l'aperçoit - c'est peu de le dire - en parcourant La Bretagne des écrivains, un nouvel ouvrage consacré
à la littérature bretonne. Sur la trentaine d'auteurs présentés, près
de la moitié sont poètes.
Le parti pris de ce livre est d'aller " sur les pas des écrivains ",
sur leur lieu de naissance ou dans leur environnement favori, conçus en
quelque sorte comme leurs lieux d'inspiration ou, pour le moins, comme
des endroits qui les ont façonnés. Après une Balade en Bretagne nord, sur les pas des écrivains
(éditions Alexandrines, 2011), voici, chez le même éditeur, une balade
dans le sud et l'ouest de la région, à l'occasion d'une visite " guidée
" (loin des clichés touristiques) qui débute à Redon sur les pas du
romancier populaire Arthur Bernède et s'achève dans le Brest de
Jean-François Coatmeur.
Les poètes - on l'a dit - sont très présents dans l'ouvrage, à travers
des portraits dressés sur trois ou quatre pages et illustrés par un
extrait de leurs livres. On y trouve les " vieilles gloires ", comme
Jean-Pierre Calloc'h (Groix) ou Saint-Pol-Roux (Camaret), mais aussi,
bien sûr, des auteurs de référence plus récemment disparus comme Xavier
Grall (Pont-Aven), Guillevic (Carnac) ou Jean-Pierre Abraham
(Douarnenez), sans oublier Georges Perros, un autre " oiseau rare " de
Douarnenez. Pour découvrir des poètes vivants, nous voici à Vannes sur
les pas de Michel Dugué, à Quimper sur ceux de Marc Le Gros et dans le
pays de Rosporden sur ceux de Gérard Le Gouic.
Pour présenter chaque auteur il a été fait appel à d'autres écrivains.
C'est Bernard Berrou, par exemple, qui nous parle avec ferveur d'un
Gérard Le Gouic " rebelle à toute forme de conformisme, chantre
intemporel des beautés graves et des sentiments fragiles, poète de la
Bretagne et de l'univers ".
À noter qu'un chapitre à part est consacré aux auteurs en langue
bretonne. Bernez Tangi et Youenn Gwernig y ont notamment toute leur
place. Sur leurs pas, on s'évade ainsi du côté des Monts d'Arrée. Sans
oublier que des romanciers furent aussi des poètes. L'ouvrage leur
consacre les pages qu'il faut, s'agissant par exemple du bigouden
Pierre-Jakès Hélias ou du morbihannais Charles Le Quintrec.
Pierre TANGUY
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Gilles Baudry : Demeure le veilleur
" Ma part / est de veiller ". Tous ses
recueils l'attestent. Mais cette fois le poète Gilles Baudry endosse
pleinement, pour le dire, les habits de frère Gilles, moine bénédictin
de l'abbaye saint Gwenolé de Landévennec (une vocation qu'" il fait
paraître à ciel ouvert ", souligne Nathalie Nabert dans la préface de
son nouveau livre). Voici donc aujourd'hui, entre nos mains, Demeure le
veilleur.
Veiller.
On pense, bien sûr, au passage de l'Evangile de Marc (13, 33-37). "
Veillez car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le
soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin, de peur
qu'il n'arrive à l'improviste et vous trouve en train de dormir. Ce que
je vous dis, je le dis à tous : veillez. "
Cette veille eschatologique, Gilles Baudry ne la nomme pas
explicitement. Mais il nous en parle à mots feutrés en privilégiant le
chant et l'émerveillement. Puis, s'adressant à son Dieu, il décline
louange, offrande et prière. Nous sommes bien, ici, " dans le dur " de
la vie monastique.
Le chant ? " Nul autre psalmodie / que les versets du vent / dans les
roseaux ".
L'émerveillement ? " Et je reste étonné / qu'aux premières lueurs / mis
en état d'annonciation / je sois rendu digne de recevoir / le frôlement
d'aile du cerisier/en fleur ".
La louange ? " La grâce d'avoir ici-bas / la terre où s'arrimer /
journellement (…) Le ciel /en héritage ".
L'offrande ? " T'offrir / ce babil de ruisseau / ce vent qui broie du
noir et avale sa voix ".
La prière ? " Aide-moi Seigneur / à faire surgir / dans mes poèmes la
grandeur cachée / derrière l'infime et l'insignifiant. "
L'infime.
Il transite par " le temps ordinaire " et " les petites heures ". Pour
le déceler, nous dit le moine poète, il faut une attention de tous les
instants et s'établir " dans la confiance ". Car le veilleur, à la
manière du frère Gilles, est une vigie face à un monde " sans âme et
sans horizon / ivre de son propre vide ". Ce veilleur-là invite à "
ajuster son âme / et l'orienter / dans le sens de la sève ".
Nous voici soudain, par ces mots, placés au cœur des grands enjeux de
l'existence : retrouver son " ciel intérieur ", approcher le silence
(alors que nous sommes " recrus d'angoisse et de fatigue "), accueillir
" la manne du présent ".
Gilles Baudry rejoint ainsi, dans son recueil, comme le dit justement
la préfacière Nathalie Nabert, " la grande tradition psalmique ".
Pierre TANGUY.
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Christine Guénanten : pommes des reinettes
et pommes rennaises
Elle vit dans le pays de Rennes, du côté de
Saint-Aubin d'Aubigné - après avoir habité à La Bouexière - un terroir
qui sent bon la feuille et la fougère, aux abords du paisible canal
d'Ille-et-Rance. Christine Guénanten, à la manière de l'écrivain Marie
Rouanet dans son Rouergue d'adoption, nous concocte - par
intermittences - une poésie " domestique " et " culinaire " pleine de
saveurs et de couleurs. Mais, toujours, en évitant les clichés et les
formules toutes faites d'une poésie dite du terroir.
Elle nous avait parlé du pain en 2004 dans une anthologie amoureuse sur
le sujet (Liv-Éditions), du sel en 2009 (éditions Des Sources et des
Livres), ou encore de miel et de noisettes au fil des opuscules qui
parsèment sa création littéraire. Voici qu'elle nous parle aujourd'hui
de pommes, dans la foulée d'une exposition organisée, en 2012, à
Saint-Germain sur Ille, avec l'artiste peintre Christine Van Amerongen.
Les pommes de Christine Guénanten remontent à
l'enfance. " J'arrivais au verger/Par la porte du rêve/Je voyais se
poser/l'espoir en papillon ". Ses pommes sont des pommes de comptines.
" Reine des reinettes/Ne cherche pas de roi/Elle est seule au verger/La
reine du pommier ". Elles sont à ranger, dans le rayon des livres pour
enfants, sur les étagères d'une poésie marquée du sceau de la fraîcheur
et de la simplicité. " La pomme tombe/Je suis dedans/Roule avec elle/Ma
joie unique ".
S'il y a des poèmes dans l'opuscule qu'elle publie aujourd'hui, il y
aussi des contes pour enfants et grands enfants, à l'image de cette "
Conversation de pommes dans un magasin ". Arrêtant de lever les yeux au
ciel vers " la neige des branches ", l'auteure n'oublie pas qu'il
existe aussi une pomme… de terre. Elle l'appelle " patapouf " quand on
la jette dans l'eau bouillante " mélangée aux poireaux ".
Dans un court poème inaugurant son petit livre, Christine Guénanten
nous dit, au fond, ce qui l'anime. " Il nous faut pour ce monde/Des
jardins, des vergers/De l'espoir à cueillir/Du silence à croquer ". Les
pommes charnues et lumineuses comme des lampes de l'artiste Christine
Van Amerongen accompagnent ici, avec bonheur, cette espérance.
Pierre TANGUY.
Pommes, couleurs et
mots. Textes de Christine Guénanten, peintures et dessins de Christine
Van Amerongen, auto-édition en tirage limité, 36 pages,
(www.creation.guenanten.voila.net)
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LE BRUISSEMENT DES
ARBRES DANS LES PAGES. de Gilles BAUDRY, éditions Rougerie,
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La
parole silencieuse de Gilles Baudry
Du nouveau livre du moine-poète de Landévennec - comme de ses
précédents - on peut dire aussi qu'il se situe " non du côté du
verbiage qui est l'inflation de la parole, mais au plus près du silence
qui est la pauvreté et la chasteté de la parole ". Les mots sont de
François-Cassingena-Trévedy dans sa Poétique de la théologie (ad Solem,
2011). Ils s'appliquent bien à l'œuvre de Gilles Baudry. […]
On comprend donc que Le bruissement des arbres dans les pages puisse
devenir le titre d'un recueil de poésie, comme c'est le cas dans cette
dernière publication de Gilles Baudry. " Que je lise en lecteur
clandestin/ou que j'écrive sous la lampe j'entends / le bruissement des
arbres dans les pages ", écrit le poète.
On comprend aussi que " l'opulence du peu " puisse être le titre d'un
des chapitres de son recueil. " Tu cherches / un mot de rien / qui
dirait tou t/ Tu trouves une parole silencieuse / assise au fond de ta
respiration ".
Et pourtant. Il y aurait tant à dire de ce pays (" au bout du monde, où
tout commence ") que le poète scrute avec ferveur derrière " les
fusains de la pluie ". Il pourrait être tenté par l'inflation verbale,
hausser le ton, faire sonner les grandes orgues. Non. Tout, ici, est en
retenue. C'est même à la banalité des jours qu'il arrache ses plus beau
vers. " Le peu, ne le méprise pas/ considère l'insignifiant ". Tout
mérite attention même au creux des mois les plus noirs. " Ici le ciel
d'hiver/célèbre ses noces d'argent/avec la mer ".
Dans une série de courts poèmes intitulés " Votifs ", le poète
bénédictin prend volontiers des accents franciscains. Il adresse sa
louange " à la caresse du fenouil/et au soleil de branche en
branche/jusqu'à l'octave " ou, encore, " à l'immémoriale mélodie/captée
au fond/d'un coquillage ". Nous sommes en presqu'île de Crozon. Il y a
le Menez-Hom, Terenez et l'estuaire de l'Aulne. Et Sein à l'horizon où
" les femmes ravalent le sel / des embruns dans leurs larmes ". Le
poète parle toujours en connaissance de cause. " Le ciel d'ici ne nous
prend pas de haut / perdu dans ses pensées / il pousse la simplicité /
jusqu'à nous quémander sa route ".
Sa route, Gilles Baudry la trace de recueil en recueil, lui qui veut "
guérir/du temps/du monde tel qu'il va ". Mais précise-t-il, dans son
bout du monde, " le pourrions-nous / si nous n'avions entre verdure et
océan / un pays innocent à regarder / intensément / au fond des yeux ".
Pierre TANGUY.
" Poètes / voués à la notoriété / de l'ombre
// de la conversation du vent / avec les arbres / nous n'avons que des
bribes. " C'est ainsi que dans le poème dédié à Olivier Rougerie qui
clôt ce recueil, le dixième chez cet éditeur façon Corti, Gilles BAUDRY
résume en quelque sorte son inspiration qui, une fois encore, assure de
sa présence parmi les plus solides poètes de notre temps. Solide, oui,
parce qu'au-delà d'un lyrisme contenu, il atteint toujours, dans sa
concision qui ne refuse pas les images, une densité qui touche à
l'essentiel, le fameux : qui sommes-nous ? d'où venons-nous ? où
allons-nous ? Assurément, sa foi le conforte dans une réponse
sous-jacente mais jamais didactique, et c'est dans sa réflexion, sa
méditation monacale devant des paysages impressionnants que naissent
des textes qui font mouche.
Dire que le site de l'abbaye de Landévennec " ce lieu qui nous accorde
" sur cette presqu'île de l'Aulne" le paysage //sur l'estuaire //
s'ouvre comme un livre d'heures " ne peut laisser insensible serait
superflu, et les bois qui l'entourent, réceptacles des humeurs
changeantes d'une nature omniprésente, prêtent à prendre couleurs et
sons en considération. D'où ces pages qu'il qualifie lui-même de
chlorophylliennes, mais dont la portée va davantage oxygéner l'esprit
que le corps, lequel est ramené à sa juste place, si minime soit-elle.
Alors, on ne s'étonnera pas qu'une des citations en exergue, de Henty
Miller, reconnaisse que : " Et tout d'un coup, le monde redevient
humain, grâce aux arbres ". Ainsi va se faire jour, entre filigranes et
nervures, une composition, le poème symphonique d'un univers aussi bien
intérieur qu'extérieur où le monde d'à côté ne sera jamais oublié " A
Sein, les femmes... " afin " de nous faire passer / d'un rêve à l'autre
rive " avec, par exemple la " harpe éolienne " du nouveau pont de
Térénez. Et, retrouvant une phrase de la mère d'Olivier Messiaen " Je
souffre d'un lointain musical que j'ignore ", le mélomane Gilles Baudry
de s'épanouir par cette introduction au deuxième mouvement de ce livre,
" Outre mesure " qui progressera du pizzicato au morendo, le lexique
est significatif, pour aboutir à " ce sol suraigu d'Alban Berg /
intensément tenu // la vie /en fin de partition ". Car partition il y a
bien, peut-être pour une violoniste solo quand " son ange virtuose se
lève de nuit / et son archet dialogue avec le ciel / où le Luthier
céleste penche son oreille " pendant qu'accompagne " un legato où passe
l'ombre d'un hautbois ".
Gilles BAUDRY est sans cesse à l'écoute pour déceler " l'opulence du
peu ", puisque selon M. De Angelis " l'infini apparaît dans le peu ",
qui constituera le final de cette œuvre où le poète, à touches de "
petites épiphanies ", conduira sa création jusqu'à une cadence
parfaite. Mais, entre temps, et souvent en " voix off ", quel soin
apporté " dans le vivant de l'écriture ", quand il utilise " la plume à
la fine pointe de l'âme / à mains nues " ! " C'est vrai que je ne
divulgue rien / j'illumine un secret ", " dans le vivant de l'écriture
", " l'envers du monde je le vois j'entends / des pas de brume qui
s'approchent " alors qu'il veut " seulement toucher la tunique du ciel
", " se taire ensemble //et puis / suivre le silence qui suit ". "
N'avons-nous pas reçu / l'immense / en gratitude " " dans l'étonnement
inouï d'être en vie " et " qu'à la dernière note éteinte / l'ombre
brille ". Le présent recueil chemine donc à travers " ce que peut le
poème ", même s'" il est rare que les mots / soient des mains
secourables " // " il advient pourtant qu'ils sachent frémir /éveiller
dans les arbres / leur rêve profus de ramures ", et s'adressant dans
une " lettre " au maître Pierre Reverdy, en écho à son " irai-je plus
loin que moi-même ? " avec " ce soliloque qui se navre / sans issue de
secours ", à la recherche de " cette lumière // comme elle nous grandit
/ et dans les solitudes intérieures/ comme elle nous accompagne // en
cette lente rotation des astres / autour du cœur ". Oui, recherche de "
l'ailleurs, d'ici ", dans " l'offrande monacale " développée en cette
suite de tercets, ces " votifs " dédiés " à ce qui fait chanter / la
sève humaine ", " et au soleil de branche en branche / jusqu'à l'octave
", " et à la note inespérée ", " et à l'immémoriale mélodie / captée au
fond d'un coquillage ", (la mer n'est jamais loin), atteignant " nos
alléluias intimes " pour en arriver à ces vignettes enluminures de "
l'opulence du peu " ; " à ce qui peut être dit / entre les lignes //
n'ajoute rien ni ne retranche / - tout est là " puisque " silence et
solitude ont même tessiture ". La musique ne quitte pas Gilles, le
conduisant à cette philosophique acceptation de " la mort cette heure /
entre toutes les heures // sans elle la vie finirait / par n'être que
la vie " !
Voilà bien le zénith d'une poésie à hauteur d'homme, que le chant,
oserait-on dire décanté, porte dans sa clarté vers l'enviable sagesse
de la beauté. Que l'illumination vous gagne, amis lecteurs, en
pénétrant dans ces poèmes dont l'humilité de ton garantit la vibrante
authenticité !
Claude SERREAU
Extrait de la revue de poésie contemporaine
7 à Dire
Sac à mots édition
septembre-octobre 2013
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Yeats :
le poète irlandais réédité
Prix Nobel de
littérature en 1923, William Butler Yeats (1865-1939) nous revient en
force, par la magie de la réédition, grâce à deux livres qui nous
donnent la juste mesure de son immense talent.
Le premier - Le crépuscule celtique - rassemble des histoires
et des légendes populaires recueillies par l'auteur dans son île
natale, à l'image de ce que firent, en Allemagne, les frères Grimm ou,
en Bretagne, Hersart de la Villemarqué et Émile Souvestre. Il s'agit,
pour la plupart, d'histoires que Yeats avait entendues, quand il était
enfant, dans le comté de Sligo : récits faisant intervenir des fées et
des elfes, à moins qu'il ne s'agisse d'histoires plus prosaïques mais
toujours mêlées à des croyances occultes.
C'est la volonté de ranimer une forme de celtisme qui motive, à
l'époque, le jeune auteur. Yeats a 28 ans quand la première édition du Crépuscule celtique est publiée. Il a 37 ans
lors de la deuxième édition (c'est l'objet du livre publié aujourd'hui
par un éditeur breton). " Dans ces nouveaux chapitres, comme dans ceux
plus anciens, je n'ai rien inventé, écrit le futur Nobel, à l'exception
de mes commentaires et d'une ou deux phrases trompeuses afin d'éviter
que les relations du pauvre conteur d'histoires avec le diable et ses
anges, ou ce qui en tient lieu, soient connues de ses voisins ".
On retrouve cette " matière celtique " au cœur de la réédition d'un
choix de ses poèmes sous le titre Après un long silence. Les mythes
propres à son île et le patriotisme qui la traverse, - c'est l'époque
de lutte de l'Irlande pour son indépendance - constituent la matrice de
nombreux textes : " Méditations en temps de guerre civile ", " Pâques
1916 ", " Les funérailles de Parnell "…
Mais il ne faut pas réduire Yeats au poète engagé pour son pays. Des
événements personnels donnent chair à de nombreux textes. " Je
t'apporte dans les mains respectueuses/Les livres de mes rêves
innombrables/Dame blanche que la passion a usée/Comme le ressac use les
sables gris-tourterelle ", écrit-il dans " Un poète à sa bien-aimée ".
Lisant et relisant Yeats, lui qui fut aussi bien influencé par le
mouvement symboliste que par le théâtre nô japonais, comment ne pas
être frappé par sa parenté spirituelle avec une certaine littérature
chinoise ou japonaise, comme dans ce poème écrit en 1890. " Je vais me
lever et partir à présent, partir pour Innifree/Y construire une petite
cahute d'argile et de claies/J'y aurai neuf rangs de fèves, une ruche
pour mes abeilles/et je vivrai seul dans la clairière bourdonnant
d'abeilles ". Cet engouement pour la nature et la contemplation, propre
à de nombreux poètes d'Extrême-Orient comme d'Extrême-Occident, se
retrouve également dans ce poème écrit quarante ans plus tard, en 1936
: " Peinture et livre demeurent/Un arpent d'herbe verte/Pour prendre
l'air et faire de l'exercice/À présent que s'en va la force du
corps/Minuit, une vieille maison/Où rien ne bouge qu'une souris "
William Butler Yeats avait le don de la simplicité mais aussi la pleine
conscience que la poésie devait nous mener ailleurs : " On ne peut
donner corps à quelque chose qui vous transporte, écrivait-il, si les
mots ne sont pas aussi subtils, aussi complexes, aussi remplis de vie
mystérieuse que le corps d'une fleur ou d'une femme ".
Pierre TANGUY.
Le crépuscule celtique et Après un long silence par William Butler Yeats,
La Part commune.
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Jean-Pierre Boulic nous écrit de ses " lointains
"
" Je vous écris de mes lointains ", nous dit
Jean-Pierre Boulic dans son nouveau recueil. Mais de quels " lointains "
s'agit-il ici ? Ceux du Pays d'Iroise ? Là où l'auteur réside, au bout
du bout du Finistère, face à la mer et à ses fureurs, là où "
la main du vent n'en finit pas de répandre ses graminées ".
Là où l'horizon est " empli du sel des embruns ".
Ces " lointains " ne sont-ils pas, aussi, ceux
d'une vie revisitée " à l'encre des souvenirs " :
ceux de l'enfance notamment, avec leur charge d'émotion quand il
s'agit, par exemple, d'évoquer une mère aimée ?
Ces " lointains " ne sont-ils pas, surtout, une
remontée vers " la Source ", celle que désigne
Georges Haldas dans ses carnets sur l'Etat de poésie et que Jean-Pierre
Boulic, pour sa part, qualifie de " Parole " ?
Car nous sommes bien ici, avec l'auteur breton, au cœur des grandes
interrogations que seule la poésie (avec la philosophie ?) est
à même d'approcher : mon statut de vivant ici et maintenant, mes
raisons d'espérer, la foi qui me guide en dépit de tout… Car, même si "
la saison sombre est à son comble " et si " l'instant
porte les stigmates de l'obscur et du doute ", il
importe, nous dit Jean-Pierre Boulic, de " ne pas briser
l'enchantement ". Dans des textes profonds, marqués du sceau
du symbolisme, le poète arpente le monde sur le fil tendu entre ces
deux extrêmes: d'un côté " la pesanteur de
l'âme ", de l'autre " l'émerveillement de
la beauté ". C'est la mission de la poésie, " parole
inutile et vitale ", estime-t-il, de surtout dire
cette beauté. François Cheng n'est pas loin. Jean Grosjean non plus.
Jean-Pierre Boulic les cite dans son recueil. Teilhard de Chardin rôde
aussi par là. Car homme de foi dans ce monde " où les
dévots sèment blessures dans les cœurs ",
Jean-Pierre Boulic nous dit que " le sens de la vie est la
goût de la vie, du vivant, du désir ".
Cette conviction s'affiche dans " Le carnet d'un poète "
qui clôt le recueil. " Ce qui est à vivre n'est pas ce que
l'on dit et que l'on doit respecter (dogmes et lois qui sont assignés)
mais ce que je vis et vois, ce que je crois ". Jean
Sulivan, lui aussi, n'est pas loin. " Chaque jour,
insiste Jean-Pierre Boulic, est fait de ces petits riens que
sont les rencontres, les gestes d'amour, une naissance, un départ, le
travail d'une fourmi, l'éclatement des bourgeons d'un pommier,
l'affairement d'une abeille ouvrière "… Merveille du
quotidien que ressasse un poète à l'affût, " lisant
les traces du temps dans la trame de chaque jour ".
Il le dit dans une langue qui jamais ne s'éloigne du terreau sur lequel
elle s'exprime. Celui des " lointains " du pays
d'Iroise. " Oh ! Ne jamais oublier l'innocence et le
chuchotis d'un temps de sentes et de vergers ".
Pierre TANGUY.
Je vous écris de mes lointains, suivi de Carnet
d'un poète, La Part commune
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Ultime trace d'Armand Robin
publication originale de cet article dans la
revue Verso d'Alain
Wexler
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Qui a
planté le chêne de la ferme de Gwaz-Kae ? Personne, sans doute : la
forêt elle-même, ou les bois environnants, et les vents y ont pourvu.
Un oiseau sans nom, sans histoire, mais inspiré, est un autre complice
possible. Au commencement, il n'y a pas de creux, pas de cavité. Au
commencement, le verbe est sans écorce, le verbe tourne sans témoin en
lignes brutes, selon l'ordre d'un inexorable merveilleux. Le verbe
assiège le silence : il est possible qu'un poète approche. L'arbre
jeune fait son bois comme les autres, traverse ses premières saisons.
Des insectes, des bêtes farouches le visitent au grand jour d'un
mystère que le sens humain ne captera pas, du moins pas tout entier. On
peut compter l'âge des paysages, le temps roulé des villages, combien
d'horloges pourtant y suffiront, quand l'illusion de notre savoir se
résume à des mots dont la poésie transperce le néant d'éphéméride?
Faut-il que l'arbre s'ouvre ? Oui. Et il s'ouvre. Ou plutôt se creuse,
invisiblement. Il croît et se creuse. Une loi étrange, nouvelle, semble
le régir, dont les sentinelles ne détiennent pas le sésame. Et plus
l'arbre se tend et s'élève vers le ciel, plus il se développe en
branches et en feuilles, plus il se creuse. Le verbe découvre le vide
dont il est l'œil et s'ouvre à sa rumeur appelante. Le silence laissera
place.
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Qu'est-ce que la pensée d'un chêne ? Peut-on
le savoir ? Il faudrait s'approcher tout près, passer beaucoup,
beaucoup de temps, l'oreille posée contre l'écorce, s'endormir
peut-être, comme pour entendre à la toute fin la dernière vibration du
gong. Le murmure d'un arbre multiplie le silence, le dédouble avec une
force incomparable de tournoiement, de spires sifflantes où le temps
cherche son seuil et sa propre fuite. Il y a un vallon, une pente assez
douce qui descend vers un étang, une mare plutôt. Mais en haut, à
quelques mètres, une ferme pas très grande, en gros moellons de granit,
semble un dolmen ou un menhir presque fortuitement surgi de terre.
Printemps des pierres. Le village de Plouguernével n'est pas loin, on
entend très bien les cloches sonner, même quand le vent porte de
l'autre côté. A quel moment l'enfant s'aperçoit-il que l'arbre n'est
pas comme les autres ? A l'occasion de quel jeu découvre-t-il le secret
? Quelle Ariane ou quelle fée le guide vers ce piège béni ? Armand
Robin - qu'on appelle aussi Vincent - se cache là des heures entières
pour lire et échapper aux travaux des champs. C'est peut-être la trace
la plus bouleversante de sa vie. Longtemps j'ai pensé que cet arbre
n'existait pas. Puis Jean Bescond, le créateur du fonds Armand Robin à
la bibliothèque de Carhaix, m'a fait visiter les lieux. Extraordinaire
moment où l'on se sent en contact avec quelque chose de profondément
présent et vivant, à travers le temps, dont le souvenir ne parvient pas
à s'altérer. On vient rendre visite à l'ombre de Robin et c'est un
arbre bouche fendue qui vous accueille, qui a aussi la force de vous
maintenir dans son orbe magnétique.
Nous sommes en contrée celte. Selon une croyance les morts peuvent se
réincarner en arbre. Le chêne de Gwaz-Kae abrite-t-il l'âme d'Armand
Robin? Âme : anima. Plus tard on lit dans ses poèmes " Et l'âme,
animale et sereine… ". Logique de l'esprit, commune à Rimbaud, dont il
partage le sentiment profond de la langue, ainsi que l'intuition
fondamentale d'une fraternité avec l'élément naturel. S'il y avait eu
encore des loups dans le pays de Rostrenen, Armand Robin en aurait sans
doute gagné l'affection ou la confiance, comme il quêtait celles des
chevaux. Peu de temps avant sa mort il avait apprivoisé un écureuil ("
sorcier écureuil ", comme il dit) qu'il appela " Goliath ". On ne
retrouva que la cage vide. Ce n'est pas seulement une vie propre que
Robin attribue à l'élément végétal, mais une âme et une pensée. Cet
arbre creux, il est facile de l'associer, plus que symboliquement, à la
matrice, au ventre maternel. Le plus troublant est que ce creux se soit
ouvert au fil des décennies, c'est aujourd'hui une impressionnante
faille qui fend pratiquement l'arbre en deux. Pour pénétrer quelle
ombre ? Pour y contempler quel abîme de Voie Lactée ? Il semble que la
lumière soit en instance de le traverser, de nous atteindre si nous
nous risquons à l'entrée de son antre. L'arbre est refuge, élément
maternel, il est lieu de source et de ressources. Mais, totem, il est
aussi tension entre la terre et le ciel, il est arc bandé vers les
forces toujours renouvelées de l'esprit. L'astre originel ne s'est pas
interrompu, la vitesse que nous mesurons n'est qu'un moment de
répercussion absolue.
L'enfant grandit et bientôt ne peut plus entrer dans l'arbre, le cycle
de la connaissance intime est achevée. Il quitte la ferme et son
vallon, l'arbre demeure, continue à pousser, le creux s'ouvre de plus
en plus et un jour le bois craque, la faille s'ouvre et la lumière du
jour s'y engouffre vertigineusement. Elle s'y engouffre mais n'en
ressort pas. Elle nourrit l'arbre mystérieusement, le désigne centre
d'un nouvel espace oraculaire. Comme une autre Dodone, haut lieu de
l'oracle antique, et son bois sacré. Les prêtres entendaient dans le
bruissement des feuilles, voyaient dans le tremblement des branches, le
devenir et le sens des tumultes du monde. Le poète Brice Petit, dans "
Le paysage de la langue " (éd. Grèges, 2006) évoquait ce rapprochement
entre l'écriture et l'arbre-pivot de l'univers. La sève pourfend, bruit
de lumière et alphabet des prémisses : ce sont aussi des mots que le
temps visse dans l'écorce.
Dualité, ambivalence et ambigüité du signe : le caractère régressif est
évident (l'arbre creux est comme une grotte), mais il faut aussi
considérer que le trou en haut de l'arbre laissait passer ou plutôt
tomber la lumière du soleil comme un éclair de foudre sur les pages du
livre que l'enfant lisait. Ce retour au monde ancien, au monde
interdit, n'a donc que les apparences de la morbidité. La réversibilité
du geste constitue le passage initiatique pour apprendre à lire la
persistance du monde originel, mémoire imminente. Ce mouvement profond,
cette impulsion-réflexe d'enfant en quelque sorte traqué par des
nécessités d'aliénation insupportables ouvre à une délivrance exigeante
et secrète. Quand l'enfant levait la tête du livre, il était ébloui par
le ciel et le soleil. Ceux qui le cherchaient et avaient l'idée de
plonger la leur dans le trou de l'arbre n'y voyaient que du feu, un
gouffre de ténèbres et d'écorce de plomb. Le chêne de Gwaz-Kae reste
connu de peu de monde. Sa force d'attraction semble aussi inexpugnable
que chargée d'un devenir imperceptible. Les mots de Robin n'y sont pas
cachés, mais une de leurs sources continue d'y bruire dans la nuit et
d'ouvrir une à une les pages lentes de l'arbre.
Éric Simon.
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À
la découverte
de quelques revues de poésie
avec Éric Simon
Les Cahiers ligériens
Conduite
par le poète et romancier nantais Michel L'Hostis, cette revue est en
fait le bulletin de l'association des amis du Petit Pavé (des éditions
angevines du même nom). La poésie y a la part belle, mais aussi des
textes de nouvelles ou des articles sur la littérature en général. Le
dernier numéro contient deux poèmes de Ferruccio Brugnaro,
extraordinaire poète contemporain italien (né en 1936).
Cabaret
Elle vient tout juste d'être crée par Alain Crozier. Son principe est
de ne publier que des femmes + un homme. C'est aussi un petit format,
avec peu de pages et donc un abonnement au coût très réduit.
Verso
Cette revue est une des plus anciennes (créée dans les années 70, je
crois). D'une facture toujours impeccable, avec un travail de recension
critique très sérieux, une grande variété de genres qui propose un
panorama diversifié et riche de la poésie contemporaine. Des nouvelles
et des chroniques y sont également publiées. Alain Wexler la réalise à
la main, du début à la fin, il est lui-même un poète très intéressant.
7 à dire
Jean-Marie Gilory, poète également (et ancien marin au long cours), la
dirige depuis déjà quelques années. Elle réunit très souvent des
écritures de grande qualité, et permet aussi une entrée sur les
éditions Sac à mots.
Traction
Brabant
Une revue iconoclaste et subversive! D'ailleurs, son animateur Patrice
Maltaverne préfère au mot de revue celui de "poézine". Il a toujours
des éditos incroyablement décapants et qui donnent à voir et (lire)
clair. A lire les poètes qu'il publie, on a souvent l'impression d'être
aux avant-postes d'une écriture particulièrement féconde et lucide.
Patrice Maltaverne est lui-même un poète que je lis avec plaisir.
Urdla
Revue de la région de Lyon, avec des textes de réflexion politique et
philosophique, mais qui publie aussi de la poésie. Gravures soignées.
Une revue qui garde l'usage du calendrier révolutionnaire !
Les Cahiers de la rue Ventura
Claude Cailleau, poète et écrivain, l'a créée il y a quelques années et
maintenant elle suit son cours et se développe d'alerte façon. Belles
écritures, exigeantes, d'auteurs confirmés ou non. Des chroniques et
des numéros spéciaux consacrés à des auteurs. On y sent un grand amour
de la littérature.
Pages insulaires
"Perméable aux idées", ainsi la définit son responsable Jean-Michel
Bongiraud, lui-même auteur de nombreux livres de poésie et d'essais
(notamment dernièrement "L'empreinte humaine" et "La poésie et nous").
Elle propose des articles de réflexions sur le monde tel qu'il va ou ne
va pas, avec une approche d'esprit littéraire et libertaire. Il y a
aussi des chroniques scientifiques de grand style signées de Roland
Counard, qui m'étonne toujours par son humour et sa clarté efficacement
pédagogique. C'est un foyer de pensées et d'émotions, un lieu d'espoir
aussi.Éric Simon
Les
Éditions Le
Temps Qui Passe
publient
un nouvel opuscule
De
quoi le poète est-il le nom ?
Entretiens
avec Eugène Guillevic, Jean-Paul Hameury, Yvon Le Men,
Jean-Luc
Steinmetz, Pierre Tanguy, Jean-Loup Trassard
"De quoi le poète est-il le nom ?
Le poète étant guère visible dans l'espace littéraire, on pourrait dire
que son nom désigne l'effacement solitaire derrière la vitre givrée de
notre indifférence. Plus que jamais, cet incompris est devenu « le Ténébreux, le Veuf,
l'Inconsolé, Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie » (Gérard de Nerval).
Toutefois, si sa voix ne se fait plus entendre, le poète reste toujours
cet homme aux aguets qui écoute les ondulations de son âme tout en
observant les spasmes du monde. Surtout, il ne cède en rien sur le
terrain de la langue commune et de sa minéralisation progressive. Au
contraire, il le sarcle, l'aère et l'irrigue pour que naisse le poème, – cet organisme – dont les mots sont un tas de
pierres, les vers la nervure, les consonnes et les voyelles l'enveloppe
sonore et les images sa respiration. S'il débarrasse l'expression
courante de ses mauvaises herbes, le poète est aussi détenteur d'un
type de savoir particulier qui lui fait dire que « La rose est sans pourquoi, elle
fleurit parce qu'elle fleurit, N'a pour elle-même aucun soin, – ne
demande pas : suis-je regardée » (Angelus Silesius). Le poète
institue ainsi, par sa puissance évocatrice, un nouveau langage et
restitue à la nature son état primordial.".
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Brocéliande
Gilles Baudry et Pierre Denic
Un poète et un peintre. Gilles Baudry et Pierre
Denic unissent leur talent dans une envoûtante évocation de
Brocéliande. Mais de quel Brocéliande s'agit-il ? De ce
territoire mythique évoqué dans le légendaire arthurien ? Oui,
sans doute. Les mots " Merlin ", " Viviane " et
" Val sans retour " ponctuent bien quelques têtes de
chapitre de cet album/poème, comme pour nous assurer que nous sommes
bien, ici, en pays de connaissance.
Mais – on le sait aussi – Brocéliande déborde toujours Brocéliande.
Évoquer ce lieu, c'est d'abord côtoyer le mystère et l'enchantement. Et
qui mieux qu'un poète et un peintre sont à même d'en être les témoins.
Pierre Denic se fait donc " perceur de mystère ", ainsi que le
note, dans la préface, son ami Yves Prigent. Le voici " ordonnateur
d'espaces " dans des tableaux parfois énigmatiques où -
l'artiste lui-même le dit - " la lumière bouge " et
où " la toile devient miroir ". Mais qu'il s'agisse
de peintures acryliques ou d'encres de Chine, il y a chez ce créateur
d'extrême-Occident quelque chose d'extrême-oriental dans son
appréhension du monde. Une place de choix, en effet, est accordée aux
éléments naturels – roches, chemins, étangs – et les références à l'art
japonais sont présentes dans bon nombre de ses tableaux.
Comme s'étonner alors que les noms de François Cheng et de Victor
Ségalen apparaissent au fil des pages ? François Cheng, le
passeur entre deux cultures, chinoise et française. Ségalen, dont
" l'ombre tutélaire " veille sur les chaos de
Huelgoat.
" Je ne divulgue rien/ dit-il/j'illumine un secret ", résume
Gilles Baudry dans sa lapidaire exergue au livre. Le moine/poète de
Landévennec engage son dialogue avec l'artiste-peintre. " Seul importe
l'insaisissable caché derrière les choses ", déclare-t-il. Et
d'avouer que l'œuvre de Pierre Denic rejoint sa propre quête : " La
nature comme une écriture épiphanique ".
Pour cette partition à quatre mains " écrite dans une amitié
attentive ", Gilles Baudry creuse à sa façon le mystère. On
pénètre sur ses pas dans " les sous-bois en dormance/pareils
aux fonds marins ". Le poète s'émerveille. " Comme il
fait beau/dans le silence/qui a tant à nous dire ". Ici, nous
dit-il, " l'inouï " se dit " en
aparté ". Ici on trouve " une sente si lente/qu'elle
n'a pas vu passer les heures ". Tout est dit, en peu de mots,
sur " ce lieu où l'espace touche au temps ". Cela
s'appelle Brocéliande.
Pierre
Tanguy.
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Jeux
du ciel et de l'eau
Yannis Ritsos, 1990,
L'échoppe
Yannis Ritsos né en Grèce en 1909 connaît très tôt
la mort de sa mère, de son frère aîné et l'internement du père
souffrant de troubles mentaux. Il passe lui-même quatre ans dans un
sanatorium. Événements tragiques qui marquent son adolescence et
obsèdent l'ensemble de son œuvre.
Poète et révolutionnaire, proche du Parti communiste, il adhère à un
cercle ouvrier et fait paraître Tracteur
en 1934 et Pyramides en 1935, deux œuvres qui reflètent la fragilité de
la foi en l'avenir fondée sur l'idéal communiste et un désespoir
existentiel. En 1936 Épitaphe, poésie simple, délivre un émouvant message de
fraternité. La musique de Theodorakis en fera en 1960 le chantre de la
révolution culturelle en Grèce. La dictature de Metaxas en 1936 oblige
Ritsos à être prudent. Il écrit cependant malgré l'angoisse : Le Chant de ma sœur, Symphonie
du printemps, La Marche de l'Océan. Des extraits de ces deux dernières œuvres
constituent la base de la Septième Symphonie de Theodorakis dénommée
précisément Symphonie
du printemps.
Nombreux seront ses textes privilégiés par le compositeur.
Pendant la guerre civile, Ritsos s'engage dans la lutte contre la
droite fasciste, ce qui lui vaut de passer quatre ans en détention dans
divers camps de rééducation. Pourtant, il réalisera une importante
production littéraire. Vient ensuite la grande œuvre de
maturité : La
Sonate du clair de lune
en 1956 - prix national de la poésie
Entre 1967 et 1971, la junte militaire qui a pris le pouvoir par un
coup d'État, le déporte de nouveau et l'assigne à résidence à Samos, ce
qui ne l'empêche pas d'enrichir encore son œuvre et de prolonger
l'inspiration des antiques : Perséphone,
Agamemnon, Ismène, Ajax et Chrysothemis écrits sur les îles de sa déportation, Hélène, Le retour d'Iphigénie, Phèdre. À partir de 1970, la poésie de Ritsos mêle le
rêve éveillé et le surréel qui interviennent constamment dans le
quotidien : Le
Heurtoir en 76 qui
clame la beauté de la vie et Erotica en 80 un éclatant hymne à l'amour. Dans les années
80 Ritsos se tourne aussi vers la prose. Neuf livres sont réunis sous
le titre d'Iconostase
des saints anonymes.
Il meurt à Athènes le 12 novembre 1990.
La façon humblement poétique par laquelle Ritsos restitue la vie et le
monde autour de lui, la lueur d'espoir encordée à sa tristesse a un
puissant pouvoir sur le lecteur.
Marie-Laure
Jeanne Herlédan
|
À
propos de...
SEL
ET CIEL DES MOTS
AUX MARAIS SALANTS
de
Christine
GUENANTEN
Ciel,
mer ; sel, mots : clés, s'il en fallait, de ces poèmes que Christine
Guenanten, à son habitude, nous offre pour le plus grand plaisir de
lecteurs avides de simplicité dans l'expression, dans la révélation de
la beauté.
Un plaisir qui tient d'abord à l'absence d'artifice à prétention
intellectuelle. Loin de prétendre enseigner (en ce temps où tout est
prétexte à transmission de messages), l'auteur(e) nous donne à voir, à
sentir, à goûter ce que les marais salants offrent à qui sait regarder.
Tel est son poème : un regard transposé dans des mots remplis d'un sel
d'une pureté harmonieusement alliée à la finesse du vers.
À l'image de cette marine très originale, s'ajoute, discrètement, le
souvenir de l'expérience personnelle, ponctuée par le temps de l'école,
de l'enfance à Louisfert, ce temps de " l'école de l'hirondelle ", au
long duquel il arrive à l'élève éprise de rêve de pouvoir dire " Enfin,
enfant j'avance "… Suivra, plus tard, - nouvel envol de l'hirondelle -,
celui des rencontres. Peu à peu se construit un autre tas de sel. Celui
de cette longue suite de noms qui tous honorent la poésie vouée à
divers marais : sources vives, chacune véritable bénédiction. Elles ont
nom Hélène, René, celui qui mérite le beau titre de " mon père en
poésie ", Charles, Michel, et tant d'autres.
Évocations discrètes, émouvantes pourtant, osant dire une admiration et
une reconnaissance. Nul n'est seul en poésie. Mais qui le clame
aujourd'hui ?
Christine Guenanten n'a pas besoin de théorie ; elle parle sans faire
de discours ; elle écrit sans avoir besoin d'expliquer par quels
méandres ses vers ont peut-être été obligés de passer avant d'éclater
au grand jour. Son poème est spontanément cet éclat. Un chant où
brillent de remarquables images (filées, à l'occasion :
sel/neige/cristal/éclat), d'étonnantes allitérations ( En village
éveillé/Aux chevaux et aux prés/…/Gardait au fond des yeux/L'avenir
d'un verger./…/Sur le visage ouvert/Aux fenêtres des blés !), des vers
habilement mesurés, réguliers parfois, sans être esclaves de la rime,
non méprisée pourtant. Que de qualités dans cette poésie lyrique qui
atteint pareille simplicité avec tant de sûre organisation.
Ce recueil prouve, une fois de plus, qu'au lieu de disserter sur l'acte
poétique, mieux vaut réaliser ce miracle des mots, le bien nommé poème.
Bernard Hue
14 août 2010
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Christine
Guénanten : poèmes
au sel de Guérande
De Christine Guénanten, le poète et romancier
Charles Le Quintrec a dit qu'elle " gouvernait un univers en perpétuel
état de fraîcheur ". Ou, encore, qu'avec elle " la terre entière était
soudainement conviée à la tendresse, à l'amour ".
Dans son dernier recueil, inspiré par les marais salants de Guérande et
par les liens intellectuels ou spirituels tissés aux abords de ce lieu,
Christine Guénanten confirme que sa plume conduit bien à "
l'extase ". Se tournant vers ce territoire de sel et de ciel,
elle se pose la question : " Vais-je arriver à saisir la beauté
? ". Se déplaçant dans ce labyrinthe blanc, elle se
donne " l'impression de jouer à la marelle ".
Fraîcheur du regard, celle d'une enfant émerveillée qui invite le
lecteur à entrer dans son " jardin de sel ". Ici, nous dit
Christine Guénanten, il y a du " cristal ", du " diamant " et
des " perles ". Il y a " l'or de la lumière/Qui avance en nous
" et, aussi, " L'éclat des marées/Au marais vivant ".
Ce pays permet des rencontres fabuleuses. Celle d'Hélène,
née " au pays blanc ". Hélène qui avait rencontré
René, " René de Saint-Reine ". Et voici Christine Guénanten "
protégée/Entre ces deux poètes/ Hélène et René Guy Cadou ".
Sa symphonie pour pays blanc devient ainsi, au fil des pages, un
oratorio pour cercle de poètes disparus. Ceux de l'École de
Rochefort-sur-Loire. L'auteure s'y sent en si bonne compagnie. Elle y
retrouve ce qui l'anime : le silence, la simplicité, la douceur, le
recueillement. " Ce que j'aime, c'est ce blanc, ce blanc que je vois
monter, monter chaque jour ".
Pierre TANGUY.
Sel et ciel
des mots aux marais salants, par Christine Guénanten,
éditions Des sources et des livres (Assérac), 47 pages, 12 euros.
Recueil accompagné d'un CD des poèmes et textes de l'auteure
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L'île nue
Henry Le Bal et Yann
Queffélec
En ouvrant " L'île nue " de l'écrivain Henry Le Bal
et du peintre Yann Queffélec (homonyme de l'écrivain), comment ne pas
penser, d'abord, à une autre île nue ? Celle de Kaneto Shindo, ce
cinéaste japonais auteur d'un film intimiste sur une île de poche où
une famille survit au sein d'une nature brute soumise aux caprices du
temps. La comparaison pourrait s'arrêter là car l'île nue dont il est
question ici n'est pas d'Extrême-Orient, mais d'Extrême-Occident,
puisque nous sommes du côté des Glénans (mais pas seulement).
Et pourtant, il y a dans l'approche de cette île extrême-occidentale
une manière très japonaise. Par l'épure des acryliques sur toile de
Yann Queffélec (" Tout va vers le blanc/ même le noir/ de gris en gris
"). Par la fragmentation, et aussi l'épure, du texte poétique d'Henry
Le Bal. Et, surtout, par l'omniprésence de la nature d'où l'homme est
absent et qui impose, de bout en bout, sa force et son évidence.
L'île ? " Un espace cerné par l'horizon sans limite… l'endroit exact où
notre conscience ne peut plus mesurer le temps ", note Yann Queffélec
en introduisant ce livre. " La nature est un puissant levier
d'émotions. Rien de plus simple… L'eau, la nature, quelques lignes… "
Henry Le Bal, de longue date touché par la nature brute de l'île
d'Ouessant, est, un jour, resté en arrêt devant les toiles de Queffélec
exposées au centre L'archipel de Fouesnant. Elles l'ont aidé à mûrir sa
vision de l'île. Le livre est né de cette rencontre.
" Il me parlait de Ouessant, je lui parlais de Saint Nicolas, mais il
s'agissait en vérité d'une seule et même île. L'île miroir… l'île où
vivent en secret nos âmes. L'île sans fard. Ce lieu qui, enfin, nous
rend à nous-même ", souligne Yann Queffélec. Et, en écho,
Henry Le Bal peut donc écrire : " Qui es-tu/île/ma dépaysée/où je me
sens/en toi/chez moi ? " et expliciter son approche poétique en ces
termes : " Le monde peut bien prétendre m'offrir tous les savoirs, qui
suis-je, moi, si je reste ignorant de l'île qui au plus profond de moi,
là-bas, tout là-bas, au cœur intime, et qui un jour m'a fait dire :
ici, je suis " ?
Superbe album qui creuse, en réalité, l'énigme de notre existence à
partir de simples traces laissées sur le sable, de formes dessinées par
les laminaires, ou de perspectives offertes par un horizon mouvant au
gré de la lumière. Près de la rumeur de l'Océan, nous sommes ici dans
une paix immense. Ile, " d'où vient que ton silence soit si vif ? ". Il
y a quelque chose de monacal dans ce livre-là. Et c'est très bien ainsi.
Pierre
TANGUY.
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Le
recueil En principe de François de Cornière avait
déjà trouvé place sous la rubrique littérature de ce site. C'est à sa
poésie que nous dédions ces quelques lignes.
Eric Holder dans sa préface de l'ouvrage vous parlera de lui bien mieux
que je ne saurais le faire. Il brosse un tel portrait de l'homme et de
sa poésie que vous le voyez écrivant, il est là : " Pas de graisse,
donc, mais l'essentiel…Semblable émaciement caractérise ses poèmes, à
la limite des haïkus qu'en les tronçonnant, on entendrait ".
Il est vrai.
Les poèmes ont été écrits sur une durée de 20 ans.
Vingt années d'une mosaïque composée de " petits doigts sur une table
de cuisine " et de " terrible douceur de
vivre ", d'un " canif retrouvé qui ne veut plus
s'ouvrir " et " de cendres encore chaudes ",
d'un " trou près de la poutre…vide impossible à boucher on le
sait " et " du point invisible " que montre
un index d'enfant. On entend Berthe Sylva près des corps de ferraille
des grands pylônes, on touche le grain de sable breton, cousin du
marocain. Le temps est aboli. La fresque ainsi réalisée d'une multitude
de tesserae s'offre à nos yeux éblouis. Haut relief que Ces
moments-là.
Il
dit que " dans la poésie on coupe certains ponts on passe sur
l'autre rive et que c'est difficile avec les mots de faire la
traversée ". Il s'absente de la virgule qui, sans doute,
l'entrave pour aller, andante, rejoindre le petit bruit des choses et
les voix des hommes qui chuchotent avant que de disparaître.
Il
dit que " c'est trop dur d'avoir à dire pourquoi les mots sont
comme les pierres contre la faux cachées qui arrêtent l'élan et
meurtrissent la lame ". Choc final de syllabe quand l'âme en
effet peine à perdre le bonheur qu'à peine elle a saisi.
Pourtant il couche sans relâche sur le papier " l'incertaine
durée " de la goutte, accrochée qu'elle est au fil, comme
l'encre au bout de la plume disparaît et se retrouve dans un nom, dans
un verbe.
Là est le monde poétique de François de Cornière qui se fait orfèvre
pour sertir le très minime éclat de fugacité " la lumière
exacte de l'instant " dit Georges Emmanuel Clancier.
Pour nous, alors, l'humble joyau et tous ses feux.
Marie-Laure
Jeanne Herlédan
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« Raisons
élémentaires », tel
est le titre de l'anthologie de poèmes de Claude Serreau que les
éditions Sac à mots viennent de publier. Il y a quelques mois, les
éditions Traces de Michel-François Lavaur éditaient « Réfractions ».
Les titres des livres de Claude Serreau sonnent non seulement juste
mais fort. Ils commencent tous par la lettre "R", en hommage à René Guy
Cadou. Ce "R" fournit une attaque sonore particulière, qui place la
couleur et le sens à un certain degré de vibration et d'intensité,
caractéristiques privilégiées que Julien Gracq note également au
passage dans " En
lisant, en écrivant ".
Il est question de lumière, il y a aussi de la rocaille et donc de la
résistance.
Il semble que les mots de Claude Serreau se présentent sous cette
double forme de la transparence et de l'opacité ou de
l'impénétrabilité, une capacité à laisser filtrer la plus grande clarté
comme à se refermer sur un secret ou un trésor indomptable. Ses
recueils portent donc les marques de la matière, des éléments, du
tellurique, mais dans une alliance avec le verbe qui toujours verse à
la lumière. Le mystère qui s'attache à cette poésie est un mystère
ouvert, celui de la présence du dire, le signe sensible d'une humanité
en prise avec le large. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la
Bretagne, sans être toujours nommée, apparaît ici et là, comme terre
d'écriture et de force vibrante.
Avec cette anthologie, qui reprend le titre du premier recueil publié
en 1966 (prix Théo Briand), Claude Serreau extrait des douze titres
parus depuis lors des poèmes qui permettent au lecteur non seulement de
découvrir une ligne lyrique, nette et assurée à laquelle on se livre
sans réserve, mais encore de se familiariser avec un chant qui se
reconnaît tout de suite en confiance, revivifiant, de profondeur et de
clarté, témoignant enfin d'un grand plaisir d'écriture comme de
lecture.
Éric
Simon.
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Armand Robin
|
Donnons
tort à Armand Robin !
Donnons
tort à Armand Robin lorsqu'il dit dans Ma vie sans moi
:
" Très seul, loin du poème, en un bois déserté,
je m'assaille à la hache, muet, déserté,
et les poèmes qui parfois tombent de moi
sont à peine le bruit d'une feuille morte dans les sous-bois."
Sortons avec lui dans la sente, promenons-nous entre les arbres dont
les branches se frottent en riant au printemps.
Remplissons sa sienne casquette de mendiant dont il dit que " nul son
n'y tinte" de saluts, chapeau bas.
Cueillons de très douce main ce "trèfle béant" qui croit-il "n'a pas
dit ce qu'il voulait dire".
Non, il n'est pas "né vainement", on entend de près ses mots et de
solitude et d'émerveillement.
Oui, à lire ce forçat on écoute malgré tout la vie balbutiée, on entend
son cœur se refaire qui vainc la mort.
Paroles de Villon, paroles de Robin, on vous entend encore, oh combien
! Vous n'êtes pas nés, les vers ne vous ont pas mangés, on vous couvre
d'un chaud manteau.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
|
Gilles
Baudry
|
IL
VIENT AVEC LA MER
à
Hélène Cadou.
Ce matin
les oiseaux sont en fleurs.
Au silence d'un
arbre
au tintement
des cimes
l'âme nous monte
aux lèvres.
Les vagues
par versets
incantent la promesse.
S'il revenait
l'Absent
On le
reconnaîtrait
aux traces de ses pas
sur la mer
à sa voix
de lumière blessée
aux allées et
venues
de ses pensées :
abeilles
transparentes
au voisinage des vitres embuées
de son haleine bleue.
|
Philippe
Forcioli
|
il ne
restera de nous
qu'une poignée de sable
le souvenir très doux
des heures passées à table
à partager le pain d'amour
et des paroles comme cascades
|
|
René Guy
Cadou
|
|
Emily Dickinson l'incandescente
"Vous êtes un grand poète et c'est dommage que vous ne veuillez
pas chanter tout haut" dit un jour Emily
Dickson à Helen Hunt Jackson.
Vouloir chanter tout haut, voilà qui arrête.
D'abord, vouloir, qui est un autre nom du
désir : "pourriez-vous me dire si mes poèmes sont vivants "
écrivait-elle à un critique. Emily Dickinson ne cesse de traverser ces
creux que l'on appelle dépression et regarde la nuit comme un adieu.
Les longs bras de la mort semblent la bercer tandis qu'elle cherche
pourtant à s'en extraire.
"Glorifie-le — c'est mort —
Ça ne peut luire."
"Les braises d'un Million d'années
Remuées par la Main
Qui les caressait lorsqu'elles étaient feu
Luiront et comprendront."
" Combien solide doit sembler l'éternité
à ceux qui comme
Moi se délitent."
" J'aime mieux me souvenir d'un Couchant
Que jouir d'une Aurore
Bien que l'un soit superbe oubli
Et l'autre réel."
Chanter tout haut.
Quand elle préfère l'été plutôt que l'automne " de crainte de détourner
le Soleil ", c'est le zénith qui est chanté : le cri d'Emily Dickinson
se transforme en chant mais toujours chant funèbre
" Plus bas que la Lumière, plus bas,
Plus bas que l'herbe et la Boue "
et chant de joie entremêlés,
"Plus haut que la Lumière, plus haut,
Plus haut que l'Arc de l'oiseau"
" J'ai pu moi-même survivre à la Nuit
Et rallier le Jour —
Au Sauvé le Salut suffit
Sans la Formule —
Désormais je prends mon rang de vivante
Comme une graciée —
Candidate à la Chance du Matin
Mais parmi les Morts marquée."
Le vouloir chanter tout haut d'Emily Dickinson est un combat en
écriture poétique, ses armes sont les mots dont elle fait un long
cortège.
Son " panier ne contient que des firmaments — cela — à son bras
seulement se balance —
Quand de moindres ballots sont accablants", et le feu brûle en elle
constamment.
Le très beau travail de traduction de Claire Malroux dans l'édition
bilingue de Poésie — Gallimard est un grand œuvre à saluer.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Eugène Guillevic
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...
Ce n'est pas que j'aie
Quelque chose à dire
De précis, de particulier
Est-ce d'ailleurs
Qu'il s'agit de dire ?
Dire n'est ici qu'un moyen
Pour arriver à quelque chose
...
Égrainant un credo sans croix, Guillevic s'avance et se retire dans
l'"Étier" découvrant : " un territoire où tout se tisse ".
Cet homme-là posait son regard et plus que cela, très intensément, sur
ce dont il allait parler, après, plus tard.
Comme des distiques de Silésius si j'ose le dire — parfois trois
lignes, quatre — il nous révèle secret sur le rocher, fait ode au
lichen, consacre la bruyère.
" Flagrante et quotidienne
Est la révélation
Par la feuille et la fleur ".
Au ras de la terre où l'homme absent est pourtant tutoyé en constance,
le poète est granit et sur cette pierre grise on se pose, invité à être
présent, à " exister, à servir le lieu" pour regarder avec toi ami, ami
Guillevic " la lumière toujours en train de naître".
Et aussi Art poétique précédé de Paroi et suivi de Le chant, Sphère,
Possibles futurs, sans compter : L'univers imaginaire de Guillevic par
Brigitte Le Treut chez La Part commune
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Gilles Baudry
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Gilles
Baudry partage avec nous le pain de ses mots où il a mis du levain qui
soulève les pieds lourds et les poitrines qui cachent le cœur, du sel
pour donner goût et laisser l'appétence, de l'eau qui étanchera la soif
au jour de sécheresse, le blé était déjà là.
Au Matin, il le prépare car le soir il est rompu mais ne "logera pas la
fatigue" comme nous souffle Armand Robin doucement à l'oreille
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Christine
Guénanten
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Le cri de Christine est cristal fin, pur
et fort. La poète le lance sur " un chemin bordé de fleurs avec de la
rosée en étoile sur les roses et les épines et des abeilles d'or dans
les ramures profondes. " a écrit d'elle Charles Le Quintrec en 1991
dans sa préface à Au clair obscur de l'aube.
Tout au long de ses ouvrages elle sertit les pauvres mots pour les
faire briller de tous leurs feux. C'est qu'elle prend ce feu aux dieux
et le garde en son autel, on se chauffe à la flamme qui n'embrase pas
mais illumine le recoin sombre. Un clair-obscur est ainsi créé, elle
fait œuvre d'art de la quotidienneté.
"... quand le petit jour grandit
le jardin des nénuphars
embarque
pour l'infini "
Marie-Laure
Jeanne Herlédan
Le 5 décembre 2009 Christine Guénanten a présenté son nouvel ouvrage
édité par Des Sources et des Livres : Sel et ciel des mots aux marais-salants
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Poèmes bleus, Papiers
collés...
et aussi le :
Perros, Bretagne fraternelle de Jean Lavoué aux éditions de
L'ancolie
Pour
aller y voir dans l'écriture de l'homme Perros qui a "envie d'être
heureux un peu comme on dit bêtement que les clochards le sont", le
livre de Jean Lavoué est une porte grande ouverte qui pousse à entrer :
il se fait l'ami avec qui les "cavernes du cœur" ont entr'aperçu une
lumière. Et fidèle, il entremêle ses mots à ceux de Georges comme des
fagots pour entretenir patiemment un rougeoiement.
S'il
tombe entre tes mains, ami lecteur, laisse-le s'y déposer c'est le
livre d'un passeur de mémoire qui célèbre une gloire.
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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Loïc
Collet, comment dire, est de ces hommes qui inspirent le respect. Qui
inspirent tout court. Il y a de la congruence, de la force et de la
fragilité, de la fierté et de l'humilité dans le creuset et le pilon
triture qui fait sortir le suc.
Après De boue et de feu, qui est un récit fort,
après le très vrai Parole en genèse en concorde
avec Yvonne Leray dont nous reparlerons l'an prochain aux "Sources et
aux Livres", ce prêtre, maçon, poète (dans quel ordre, on ne sait) nous
livre La pierre et la chair — au titre éponyme.
"Dans le corps à corps des choses et de l'esprit
Naissent les mots.
....
Tu peux les saisir par la peau du cou,
Les épeler, les éplucher, les écorcer,
Les effilocher, les dépiauter...
...
Les conteurs en ont plein leur besace
Et les poètes leur coffre de voyage
Avec eux nous embarquons..."
Voilà ce qui est dit dans la préface !
Marie-Laure Jeanne Herlédan
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