Promenades

proposées par Marie-Laure Jeanne Herlédan
Ce que peut le poème

Il est rare que les mots
soient des mains secourables
pour vous hisser plus haut
que les chagrins

rare que les mots soient un baume
et le grain de la voix
le bruissement de soie
dans la gorge des roses

Il advient pourtant qu'ils sachent frémir
éveiller dans les arbres
leur rêve profus de ramures
et traduire en échos en reflets

le temps d'un battement de cils
le palimpseste des saisons
un chemin d'ailes sur la mer
rendre au silence couleur et naissance

Gilles Baudry Le bruissement des arbres dans les pages

… Je marche auprès de moi, parfois, en tenant par la manche l'enfant si frêle que je fus : pour tenter en vain de me connaître mieux… Je ris souvent de moi, jusqu'à l'éclat, la grimace ou la folie, en particulier quand, tirant mon épingle, je constate – comme vous peut-être – que ce n'est jamais qu'un jeu…

 

Songeries d'un
rêveur insulaire
– sur le grand océan des mots,
lorsque le verbe se fait mer –

Jean-Marie Gilory
La Botellerie éditeur

Chapelle de Hameau

À Francis Jammes.

Sur champ de sinople.
Branche aux tresses de lierre, emmi des tombes, elle s'élève telle une gardeuse d'oies gaillarde…
… Le tout roidi par le temps.
Que j'en ai rencontré de ces vastes gardeuses - aux oreilles de confessionnal, à la poitrine comble de rosaires et de cantiques et de roucoulement d'harmonium - sous le hennequin de dentelles où nichent des campanes !
Celle-ci n'a que sur sa jupe de laine ferme une humble cornette, et que, pour bijoux, en dedans de l'argentin liseron de l'enfant de chœur, en dehors le coq : vif épi du bonheur.
Sous la forme de cercueils et de béquilles, souventes fois la pénétrèrent catastrophes et douleurs.
Que ne suis-je assez pur afin d'entrer, comme on entre dans une âme de promise !
Cependant tâchons de voir par son œil de rosace…
Ce grandiose petit cœur qui bat au mitan, colombe d'espérance !
Mais voici la gardeuse en joie…
… Tellement que son porche affecte un air de pan de jupe retroussé. Soudain la joie craque d'un si fol rire que toutes ses quenottes volent s'épivarder sur la place, en jet de semence.
Et puérilement je ramasse les dragées du baptême.

Saint-Pol-Roux, Fouesnant, octobre 1890

Dit de la Force et de l'Amour

Entre tous mes tourments entre la mort et moi
Entre mon désespoir et la raison de vivre
Il y a l'injustice et ce malheur des hommes
Que je ne peux admettre il y a ma colère

Il y a les maquis couleur de sang d'Espagne
Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce
Le pain le sang le ciel et le droit à l'espoir
Pour tous les innocents qui haïssent le mal

La lumière toujours est tout près de s'éteindre
La vie toujours s'apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini
Un bourgeon sort du noir et la chaleur s'installe

Et la chaleur aura raison des égoïstes
Leurs sens atrophiés n'y résisteront pas
J'entends le feu parler en riant de tiédeur
J'entends un homme dire qu'il n'a pas souffert

Toi qui fus de ma chair la conscience sensible
Toi que j'aime à jamais toi qui m'as inventé
Tu ne supportais pas l'oppression ni l'injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre
Tu rêvais d'être libre et je te continue.

Paul Eluard

Reçu de Claude Serreau. Tristesse.

Numéro 1, janvier 1963

Numéro 176, janvier 2013

Dernier numéro de la revue Traces qui clôt 50 années de diffusion de la poésie. A chaque numéro des textes inédits, des manuscrits, des dessins originaux, des auteurs révélés.

Le maître d'école Michel-François Lavaur entouré d'une poignée de poètes avait imaginé cela sur les encouragements de Sylvain Chiffoleau, l'ami éditeur de René Guy Cadou au milieu du vignoble nantais

 

 

Retrouvez Michel-François Lavaur et sa revue Traces en suivant ce lien

Un des six poèmes du XIIe siècle qu'il reste de Jaufré Rudel
Quand la source du ruisseau
S'éblouit de soleil neuf
Quand naît la fleur d'églantier
Quand au bois le rossignol
Module, affine, répète
Sa chanson qu'il veut parfaite,
Je reprends le mien refrain.
 

 

Le soir où Armand Robin traduisit Maodez Glandour…

O Santual an noz pallennet gant voulouz,
O neved an noz,
Stered ennãn da c'houleier o lugerniñ
Disourr, didrouz...
Nemet du-hont war lez al lenn,
Lamm ur glesker efreskter an dour.
 
  O sainte nef de la nuit plafonnée de velours,
Haute nef de la nuit,
De stellaires lampes à tes lustres luisent
Nuit pure, si gente en ta calme nuitée
Ni bruit chutant, ni chuchotis...
Seul, là-bas, au long du lac, le silence des chutes
De grenouilles glissées en la fraîcheur de l'onde

 

Truilhek eo va diavaez. Petra 'vern !
Ennon e lugern ur palez

Mon extérieur est en haillons. Peu importe !
En moi resplendit un palais.

 

 

Maodez Glandour

Em c'hreiz 'anavan ur gambrig milgaret
Sklaeraet gant gouloù dous ur greuzeulig.

En mon centre, je connais une petite chambre très aimée
Éclairée par la douce lumière d'une lampe.

Couleur de l'éternel

Couleur de l'infini, couleur de l'éternel,
La poésie annonce un flocon de lumière.
À l'âme qui le porte au-dessus de la nuit
Tout semble s'envoler vers la beauté du ciel.

Douceur de l'infini, douceur de l'éternel,
Enfin la grâce affleure au centre des esprits.

Christine Guénanten


Et tant vaut la journée qui va finir,
Si précieuse la qualité de cette lumière,
Si simple le cristal un peu jauni
De ces arbres, de ces chemins parmi des sources,
Et si satisfaisantes l'une pour l'autre
Nos voix, qui eurent soif de se trouver
Et ont erré côte à côte, longtemps
Interrompues, obscures,

Que tu peux nommer Dieu ce vase vide,
Dieu qui n'est pas, mais qui sauve le don,
Dieu sans regard mais dont les mains renouent,
Dieu nuée, Dieu enfant et à naître encore,
Dieu vaisseau pour l'antique douleur comprise,
Dieu voûte pour l'étoile incertaine du sel
Dans l'évaporation qui est la seule
Intelligence ici qui sache et prouve.

Yves Bonnefoy,
Poèmes, La terre, Mercure de France, 1978

Je ne vois pas l'oiseau
Refusant de chanter
Pour ne pas
Déranger la haie.

Je ne vois pas l'oiseau
Que ça fatiguerait

D'assister chaque soir
Au baiser du soleil.

Je ne vois pas l'oiseau
Faire sa cour à la rose,

Mais je les vois tous deux
Faire ensemble la cour
Au soleil qui s'ébroue.

Je ne vois pas l'oiseau
Et je ne l'entends pas
Frôler l'éternité.

Eugène Guillevic, possibles futurs

" Âpreté du chant perdu, retrouvé…
Âpreté mais nécessité de mon chant,
tristesse de mon chant, inutilité massive de mon chant
et cependant je chante. "
" Rien ne meure, tout recommence. Prends ta harpe…
La révolution par le chant. Une arme, la mélopée. "


Xavier Grall, Barde Imaginé

 

" La poésie [Elle] est la source. Elle tient aussi le fil de la mort, sans qu'elle le coupe. Ariane trouve toujours d'autres Thésée pour les changer en Icare. Cependant cette source est faite d'expérience sensible, ainsi que de mots, dont on ne sait trop ce qu'ils sont. Qui est l'ombre de qui ? Il y a les poèmes qu'on écrit ou qu'on tait, il y a les poèmes que les autres nous donnent à lire, à travers le temps. Ce n'est pas l'éternité, mais c'est tout de même la persistance du plus pur vivant…
Bien sûr, plus on lit de poésie, plus on en écrit, moins on peut dire ce que c'est. Peut-être qu'Orphée, de retour des enfers, se retourne vers Eurydice parce qu'il sent son abandon ? Je marche, je piétine et je creuse. J'aime la nuit, mais j'aime aussi garder les yeux ouverts, longtemps. Sur un itinéraire que j'emprunte presque chaque jour, il y a des arbres que j'essaie de connaître un peu au fil des saisons. La semaine dernière, après une tempête, l'un a perdu un bras, qui traîne encore dans l'herbe. Il a l'air d'avoir mal, mais il ne dit rien. Il ne me fait même pas signe de m'arrêter, de le plaindre. Quelle est cette force ? Les mots le diront-ils ? J'ai l'impression qu'ils disent toujours autre chose. Je voudrais beaucoup de clarté et j'ai bien du mal à l'atteindre, à l'approcher. Il y a des masses de mots à fendre, comme granit. Ce travail est bon. J'admire les poètes qui savent être clairs tout en opérant une trouée dans ce qui échappe au sens. C'est une affaire de langue, mais aussi de regard. Apprendre à écrire, apprendre à lire…"

Éric Simon

Extraits de " Entretien avec Éric Simon ", Jean-Michel Bongiraud, Pages Insulaires, bimestriel de poésie et de réflexion, n° 23, février 2012


Dans les pas de Cadou

J'ai parcouru la Brière jusqu'aux portes de Guérande
Emplissant mon sac d'aubépine blanche
De soleil naissant par delà les ténèbres
De vent sauvage perdu dans les roseaux
De cris d'enfants jouant sous le préau
J'ai marché dans les pas du Poète
D'auberge en auberge
J'ai partagé le vin ma douleur et ma faim
Avec ses amis d'hier
Hommes et femmes de cœur aux langages secrets
Manoll et ses copains de Rochefort
Sans oublier Fréour et ses belles naïades
Où l'on aime à se blottir pour mieux y faire son nid
Par bonheur
Le voyage n'est pas fini
Il me reste tant de choses à découvrir
Car nous le savons
Les artistes sont éternels
Qu'elles soient de papier, de bois ou de pierre
Les œuvres leur survivent
Elles nous parlent d'amour et d'amitié
De jeunes filles nommées Destin Danaé ou liberté
De résistance
D'engagement pour des causes perdues d'avance
A nous de savoir les écouter
Les regarder
Et pourquoi pas
D'un geste simple et doux
Les caresser
Alors le rêve devient réalité

Yves Maurice

Réflexions sur la condition humaine
L'Ecclésiaste 8, 9 - 9,7

J'ai examiné avec soin tout ce qui se passe sur la terre, où l'être humain domine son semblable et le rend malheureux. J'ai vu des méchants à qui on faisait des funérailles. Ces gens-là avaient fréquenté le temple. À Jérusalem on avait oublié leur comportement. Voilà encore une chose anormale. Celui qui agit mal n'est pas puni dans l'immédiat. C'est pourquoi les humains sont prêts à commettre tant de mauvaises actions. Un pêcheur peut être l'auteur d'une centaine de méfaits et vivre très longtemps. Je sais bien qu'on affirme : " Seuls ceux qui respectent Dieu seront heureux, parce qu'ils reconnaissent son autorité. Le méchant, lui, ne sera pas heureux. Il passera comme une ombre et mourra jeune parce qu'il ne tient pas compte de Dieu. ". Pourtant il arrive sur la terre que les bons soient injustement traités, comme des méchants. Inversement les méchants connaissent parfois la réussite que méritent les justes. J'affirme que cela aussi est absurde.
Pour ma part, je célèbre la joie. En effet, le seul bonheur de l'homme sur la terre est de manger, de boire et d'éprouver du plaisir. Voilà ce qui doit accompagner son travail chaque jour que Dieu lui donne à vivre sur la terre.
Je me suis appliqué à comprendre comment on pouvait être sage et j'ai observé attentivement les occupations des humains sur la terre. J'ai constaté que, même en restant éveillés nuit et jour, nous ne pouvons pas découvrir comment Dieu agit à travers tout ce qui arrive. Les humains peuvent bien se fatiguer à chercher, ils ne le découvrent pas. Même si le sage affirme qu'il le sait, il n'est pas capable de le comprendre.

Alors j'ai prit en considération tout ce que j'ai vu. J'en ai conclu que Dieu seul à pouvoir sur la vie des justes et des sages comme sur leurs actions. Les hommes ne savent même pas s'ils connaîtront l'amour ou la haine. Ils ne peuvent rien prévoir. Et c'est pareil pour tout le monde. La condition du juste et du méchant, du bon et du mauvais est identique. Il n'y a pas de différence entre celui qui accomplit les rites religieux et celui qui ne les accomplit pas, entre celui qui offre des sacrifices et celui qui n'en offre pas, entre celui qui est bon et celui qui est pêcheur, entre celui qui fait des promesses à Dieu et celui qui n'ose pas en faire. La condition humaine est la même pour tous et les conséquences qui en résultent sont désastreuses : les hommes se livrent au mal et ont des désirs insensés, ensuite il ne leur reste plus qu'à mourir. Or seul celui qui est en vie peut encore espérer : un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort ! En effet, les vivants savent au moins qu'ils mourront, mais les morts, eux, ne savent rien du tout. Ils n'ont plus rien à attendre puisqu'ils sont tombés dans l'oubli. Leurs amours, leurs haines, leurs jalousies sont mortes avec eux et ils ne participeront plus jamais à tout ce qui arrive sur terre.
Alors, mange ton pain avec plaisir et boit ton vin d'un cœur joyeux, car Dieu a déjà approuvé tes actions. En toute circonstance, mets des vêtements de fête et n'oublie jamais de parfumer ton visage. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, chaque jour de la brève existence que Dieu t'accorde sur la terre. C'est là ce qui te revient dans ta vie pour la peine que tu prends ici-bas. Utilise ta force à réaliser tout ce qui se présente à toi. En effet on ne peut pas agir ni juger, il n'y a ni savoir ni sagesse là où sont les morts que tu iras rejoindre.

et le désert reverdira

Chapelle de la Madeleine en Penmarc'h - Finistère

LA RÉSURRECTION

Vitrail central

Jean Bazaine 1981

L'HENRI GARRIGUES

Chanson triste à la mémoire de mon grand-père qui fut marin pêcheur et qui commença
sa carrière de mousse sur l'Henri Garrigues, chalutier rochelais de l'entre deux guerres


Et toi l'Henri Garrigues, où l'as-tu fini ton long périple
Aux creux des mers d'ici, ou bien sur le flanc d'une anse grise
Peut-être dans un cimetière, de sables noircis de roches claires
Au fin fond d'un estuaire, oublié des vents des gens de terre

Chalutier des grands fonds, tu quittais le port en toutes saisons
Avec pour cargaison, les cales à ras bord pleines de charbon
Tu crachais ta vapeur, au lever du jour aux premières lueurs
Tes matelots de la peur, ne s'en remettaient qu'à ta rondeur

Forçat d'entre deux guerres, marin d'une autre mer
On a pris ta jeunesse, tu ne savais qu'en faire

De Groix à la Rochelle, nombre d'armements jamais fidèles
On tire sur la ficelle, souvent rien à faire de tes querelles
Leur paye une misère, servira tout juste au dernier verre
Deux ou trois jours à terre, et c'est reparti pour la galère

Des tonnes de merluchons, finissent par remplir les entreponts
D'Iroise ou d'Oléron, ils seront au goût de leur patron
De nuit comme de tout temps, les corps habitués aux coups de sang
Dans cette mer hurlante, et pourtant si belle dans la tourmente

Forçat d'entre deux guerres, marin d'une autre mer
Tu as pris la sagesse, on ne savait qu'en faire

Qui se souvient du nom, bonshommes sans une tombe
Perdu sur les hauts-fonds, perdu sans oraison

Mais toi l'Henri Garrigues, tu as su rester dans mes souvenirs
Sur les pages d'un vieux livre, qu'un ancien cap'taine a su écrire
Très loin dans ma mémoire, une image gravée à l'encre noire
Reflète ta belle histoire, celle de marins, d'années de gloire

Paroles Éric Gouzer

"… Je fais des moulinets sauvages en brandissant mon petit crayon comme une faux, sans parvenir pour autant à couper la végétation drue de mon esprit… "

Esther Hillesum

Il y a un chant de femme du XIIe siècle
Li solous luist et clers et biaus
chanté par Brigitte Lesné
qui dit ceci :

Le soleil luit, brillant et beau
Et j'écoute le doux chant des oiseaux
Qui chantent dans les arbrisseaux
Ils m'entourent de leurs chants nouveaux

Triste et ressassant mon malheur
Je m'en vais vers la mort, composant
Mon chant, qui n'est pas discordant ;
J'en fais un lai doux et harmonieux

Sur ma mort que je vois approcher
Je fais un poème qui sera très précieux.

Shalom Anaïg, puisque tu t'en es allé avec le Dieu vagabond . Ton Dieu vague et bon qu'Avel avait déjà rejoint et qui te ressemblait si tant. " Je ne suis pas d'ici. Je voyage " disait-il par ton écriture. Adonaï et lui t'ont ouvert leur bras, paume en de dans, en bienvenue.

Shalom Anaïg, on me dit qu'Alan Stivel est venu te dire de la poésie et que la harpe avec ses cordes vocales a chanté pour te murmurer ce qui ne peut se dire avec les pauvres mots des hommes.

Shalom " Ne faisons pas de bruit, mes sœurs ! se conseillent les fougères " a écrit Armand l'oiseau, le robin. " Tout est liberté tout est passage dit alors Jésus. Il ouvre le ciel. Écartez-vous nuages ". Le noir silence du Nom des Noms s'est éclairé d'une étoile nouvelle.

 

La petite fille aux cheveux d'argent regarde tendrement son jardin, il y faisait des légumes, elle, des fleurs. " Mais il n'y en a plus beaucoup maintenant ". " Je voulais vous prêter ce petit livre de poésie, c'est un Grec ". " Ritsos, oui, c'est cela ". " Il me plaît beaucoup ".
Et elle se met à réciter :

" Les bouvreuils sont venus et restés seuls.
Rangées de bancs dans le jardin.
Sur l'écran d'une rose blanche
Jouait l'ombre de la toile d'araignée.

Plus tard une étoile est venue puis une abeille "

Elle hésite, ne se trompe pas, continue souriante et triste :

" Et là, au moment du baiser, le film s'est cassé.
Soudain plus de lumière, le jardin a pris congé,
Les feuilles sont tombées, restèrent les épines. "

Récitation en partage. La poésie continue sa route. A estompé la déchirure, le sel dans ses cheveux a encore le goût.

 

Ce 11 janvier 2012, en revenant d'avoir vu le film Tous au Larzac, nous parlons de non violence et des rencontres du Vieux-Talhouët en terre bretonne qu'un ami nous avait fait connaître, importants moments de parole...
En cherchant, je redécouvre ces documents...

 

Bergerie de La Blaquière, "cathédrale de paix" comme certains l'ont appelée

 

Pendant nos dix ans de lutte, nous avons reçu d'innombrables témoignages de soutien. Parmi tous ceux-ci, celui que Jacques de Bollardière nous a manifesté avec conviction et constance constitue certainement, par son apparente contradiction, celui qui a fait le plus réfléchir nous-mêmes et beaucoup d'autres...

Lui qui s'était couvert de gloire sous l'uniforme, les armes à la main, que venait-il donc faire sur le Larzac avec ces paysans et leurs amis écolos, gauchistes, antimilitaristes ?
Au grand rassemblement du Larzac, en août 1973, l'ensemble des paysans avaient voulu qu'il prenne la parole. Devant plus de 100.000 personnes, son intervention fut d'un courage et d'une vérité extraordinaire. La réaction de la foule a parfois été houleuse. Il savait que son témoignage vers une recherche de la vérité et de la liberté était provocateur. D'autres, bien avant lui, ont aussi été provocateur !
Après son intervention, il m'a fallu plusieurs heures de conversation avec lui, pour bien comprendre ses motivations, la cohérence de son attitude et son cheminement à travers sa vie si pleine et si riche.
À propos du Larzac, il expliquait ainsi son itinéraire :
" Le Larzac a profondément marqué ma vie d'homme, à son début et à sa fin ".
En décembre 1939, il entrainait ses hommes de la Légion au Camp du Larzac pour aller défendre en Norvège la liberté et les valeurs fondamentales de l'homme face à l'oppression montante de l'idéologie nazie.
Trente quatre ans plus tard, il se retrouve sur ce même Larzac pour défendre : " une poignée d'hommes et de femmes enracinés dans leur terre, forts de leur seul choix pour la vie, la vie globale, immense et simple, celle qui permet à l'être de s'épanouir en symbiose avec l'humanité ... ".
Comme l'a souligné, à son enterrement, Monseigneur Gaillot, Évêque d'Évreux, durant toute sa vie, ses objectifs, ses aspirations, n'ont pas changé; seule sa stratégie, sa manière de se battre a évolué avec sa prise de conscience de la violence et sa découverte de la non-violence,
Lundi 24 février, nous sommes partis quelques uns du Larzac pour lui témoigner une dernière fois notre amitié et notre admiration pour tout ce qu'il a pu réaliser dans sa vie. Symboliquement, nous avons emmené avec nous un peu de terre du Larzac, " son début et sa fin ", pour la mêler à sa terre bretonne autour de lui. Simone sa femme et tous ses enfants ont voulu que cette terre soit dans son cercueil, sous ses pieds. De toutes les terres qu'il a foulé et défendu en Europe, en Asie, en Afrique c'est peut être sur notre terre du Larzac qu'il a pu enfin trouver la parfaite harmonie entre ses aspirations profondes et la manière de les défendre avec la non-violence.
Il a eu, avec nous, la chance de gagner notre lutte. N'a-t-il pas ici commencé à gagner son " Pari sur l'amour " ?

Guy TARLIER Paysan du Larzac

Paru dans Non-Violence actualité n° 91 avril 1986

Reporter sur un support un dessin,des couleurs, un texte.

R
eproduire des caractères, des gravures.

L
aisser une empreinte, une trace par pression sur une surface.

Faire paraître.

Publier.

F
aire pénétrer dans l'esprit, dans le cœur, inspirer.

C
ommuniquer, transmettre une impulsion un mouvement.

Musée de l'imprimerie, 24 Quai de La Fosse, 44000 NANTES

Création d'Yvonne Leray

Mais le Maître des cieux a entendu quelque chose. Certes il est comblé par la présence de sa fille. Mais il n'est pas fâché, non plus, qu'un homme la désire et la cherche, à sa manière. Il est même content pour elle. Alors il veut lui faire un cadeau. Il convoque auprès de lui toutes les pies du monde, toutes les pies qui chaque matin mettent des taches blanches dans le noir de la nuit.

extrait d'un conte adapté par Loïc Collet

" Dieu, je veux chanter pour toi
un chant nouveau,
je veux te célébrer
sur la harpe à dix cordes. "
Ps 144.9

" Réveillez-vous
ma harpe et ma lyre :
il faut que je réveille l'aurore. "
Ps 108.3


Joueur de Kinnor
D'après un dessin trouvé à Ur (Mésopotamie) dans une tombe du 3e millénaire avant J.-C.

Près du ruisseau
Un passereau
Dans le lit clos
Des herbes blondes...
... Si je t'écoute
Tout mon coeur nu
Aime à l'envi
Près du ruisseau

Jean-Pierre Boulic

L'hiver fou et les longues nuits
sont venus.

Nous sommes ici, la nuit est sombre
et la passion longue.

Nous n'avons pas envie de dormir,
notre cœur est devenu fou :

Celui qui a un cœur,
comment resterait-il tranquille ?

Les quatrains de Rûmi

 

Il y a soixante ans que René Guy Cadou a cessé d'être "debout dans l'air comme une fenêtre ouverte".

Cependant, celui qui aimait tant s'entourer d'amis continue encore d'en rassembler...

Tels Môrice Benin et les Éditions du petit véhicule qui ont donné ce magnifique livre disque.

La cloche se tait -
Les fleurs en écho
Parfument le soir !


Matsuo Bashô


Amour :
Il y a de l'amour quand la feuille de papier reçoit bien l'encre, est en bonne harmonie avec elle.

Épair :
Transparence du papier. Sa qualité dépend de la disposition et de la distribution des fibres dans la feuille.

 

Georges Emmanuel Clancier

Une fleur
Parfois une herbe
pour logis.

A l'ombre
D'un hêtre
La chambre secrète

Contre-chants

Le langage est ancien qui sourd de ce monde
En sa naissance et sa clarté première.
Ne commets pas la faute dérisoire :
L'orgueil éteint le chant ou la lueur.
Juste est le galet, solennel le souffle
De la femme, de l'enfant et de l'algue enlacés.
La vie parle si fort que je ne puis me taire

Terres de mémoire

Si ça me chante : arbre le cheval,
Si ça m'enchante, roche la fleur

Peut-être une demeure

Ensevelie la parole qui nous sommait de vivre
Hanche nue au bord de la nuit d'été,
Si perdue sous les ronces folles des mots
Que plus jamais le chant n'en pourra retentir.

Le poème hanté

 

Il arrive qu'on oublie des arbres qui pourrissent tout doucement dans la forêt mais les forêts se nourrissent des arbres morts, les forêts font feu de tous bois

Le plus petit abîme Jean Sulivan

Soudain la chose est là, bondit, vous coupe le souffle, vous tord, un vent de panique vous secoue comme un arbre, vous dépouille, la fulgurante intuition de la contingence, de l'innimportance de tout, du vide tandis qu'une joie inexplicable se déplie, vous ouvre.

Le plus petit abîme Jean Sulivan

Est-ce donc qu'on produit les mots comme un arbre ses feuilles ou ses fruits…
Jean Sulivan Petite littérature individuelle

La feuille, la fleur ont déjà fait leur parcours d'assomption : tandis que la racine vous entraîne avec elle dans sa montée vers la lumière.

Parole du passant Jean Sulivan

Avoir été une seconde
Dans le fouillis de ces temps-ci
Une étincelle une colombe
Une passerelle de vie

Avoir été dans la cohue
Un p'tit caillou dans un soulier
Un nom crié dans une rue
Et des visages retournés

Avoir été un simple pétale
Serré aux creux d'un vieux bouquin
La fidèle paire de sandales
De tous les françoisiers chemins
Avoir été sans importance
Dans les discours sur la raison
Un rouge-gorge qui s'avance
Quêter les miettes aux maisons
Avoir été sur la grand-route
Une forme disparaissant
Dans un enclos âne qui broute
Et qui vous regarde innocent.

 

Routes de feuilles. Philippe Forcioli

" Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage "

" Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! "

Michel de Montaigne

 

L'escargot argenté, dans sa cotte de mailles, dit : " vaille que vaille, en ce beau matin d'été, ma chance je veux tenter. " Toute prudence et sapience, il sort une corne morne. Pan ! Quelqu'un m'a mordu, non, battu ! " Il expire, non, non, dans sa coquille il se retire. Deux fourmis, qui transportaient un grain de mil, déposent leur fardeau et éclatent de rire : " Grand sot, sors donc ! Viens t'amuser ! Ce que tu as reçu sur le nez, ce n'est qu'une graine de pissenlit ! " " Grand merci ! dit l'escargot. Ce que vous appelez la vie, cela me fait bien trop peur ! "

" Quel beau jour, quelle belle prairie tu as choisi pour naître ! ", s'écrièrent les fleurs. " Mais tu as de la chance ma chère ! " dit le géranium sauvage, qui avait de la culture. Les silènes, les pâquerettes, les boutons d'or, les campanules, les petits oeillets et les orties blanches, toutes les fleurs à qui mieux mieux lui souhaitaient la bien venue. Et elles étaient si hautes, si hautes, elles montaient jusqu'au ciel, aux yeux du papillon. " Seulement, mon cher petit, souffla une vieille limace, qui étreignait l'envers d'une feuille d'oseille, ne traverse pas le sentier. Reste toujours de ce côté-ci. Crois-moi, de l'autre côté, tout est pareil, les mêmes fleurs, la même verdure. Reste à ta place, et voltige en paix ! " Mais le papillon en avait entendu assez. " Quelle idée ! Rester sur place, caché, rampant, ne pas connaître l'aventure grisante, en plein ciel ! " Ses ailes frémissaient de mépris. " Vous me prenez pour une limace ! " Et de s'envoler. Mais juste au même moment, un vilain vieux chien sale, sa maigre queue entre les jambes, apparaissait sur le sentier. Il ne regarda même pas le papillon. Clac ! Un coup de dent, et il s'en fut. Le petit papillon gisait à terre, petite tâche rose et noire, – mort. Tout le monde le pleura, sauf la fougère arborescente, qui se moque de tout et n'a ni foi ni loi.

Journal, Katherine Mansfield

Comme la flèche à la corde résistant,
Pour en mieux prendre l'élan, devient plus qu'elle-même

Élégies de Duino Rainer Maria Rilke

Calliope était la muse de la poésie épique et de l'éloquence,
ainsi nommée à cause de la douceur de sa voix,
c'est aussi le nom d'un astre.

Claire et François

" Le poème est un chemin qui cultive ses ronces "

Yves Prié, imprimeur, Les éditions Folle Avoine.

Dans les bois tranquilles, quel drame !
Quel drame héroïque, ce bois calme ! Et plus loin, sous le soleil, quel combat, ce verger ! Peu d'arbres ont poussé droit. La croissance de la plupart accuse une lutte opiniâtre. Troncs penchés, déjetés, renversés en arrière, laborieusement redressés, branches contrariées, ramenées sur elle-même, nouées, tourmentées, tendues pour la difficulté et la défense ; racines déchaussées, arrachées presque, bizarrement tordues et contractées qui se sont donné une terrible, lente, patiente peine dans la bataille avec le sol, avec les vents, avec les autres racines pour soutenir le poids de l'arbre exposé au ciel.
Dans la plante, les feuilles et les fleurs sont beauté, les fruits, richesse, mais la racine n'est que force de foi.
La racine n'est qu'espérance, montée patiente dans le noir vers le jour qu'elle ne sait pas et ne verra jamais…

Marie Noël

 

PROMENADE est en fait mal nommée, c'est vagabondage qu'il convient de dire. Vagabonder, comme aller au vague et que cela abonde. Abondance de nourritures pour esprit vagabondant en quête de riches heures variées à l'infini. Car on peut paître à volonté l'herbe des vastes prairies, les mots y ont été semés et la pensée y pousse en feuilles et en racine.

 

Je tends en bol fou le bol des fontaines
Où tombent le temps, le ciel, la plaine.
Qu'ils tombent, moins lourds qu'un pleur,
Que n'y tombent ni songes, ni peines !

Armand Robin

 

Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbres et portant de la semence.

Genèse I, 29

Regarde de tous tes yeux, regarde.

Michel Strogoff, Jules Verne
(En exergue de La vie mode d'emploi de Georges Pérec)

 

Le printemps
Peinture murale déposée sur panneau provenant de Stabies
Naples, Musée national.

Oiseau dans un nid donnant la becquée
première moitié du IIIe siècle, cimetière du Prétextat.
Sosos de Pergame, mosaïste grec à qui l'on attribue la création du motif des oiseaux occupés à boire autour d'une coupe de marbre


Mort d'un arbre

Alité sur la mousse et la ruine des fleurs,
Tenant, ainsi qu'un dieu, immobile et grondante
Sa tête, il aura beau cracher loin de son cœur
Son désespoir d'aimer les nues indifférentes,
La vanité des eaux et les plaines stagnantes,
Il aura beau crier qu'il aidait au bonheur
Des herbes, des printemps, des destins et des chantres,
Qu'à l'aube il s'élançait sans attendre son heure
Et qu'il jugeait toujours sa peine insuffisante,
Cet être presque humain, nul ne voudra l'entendre…

Armand Robin

" Bretaigne est poésie "
Marie de France XIIIe siècle

Il y a eu souvent des aveugles parmi les poètes depuis Homère. En Bretagne Yann ar Minouz, Kerambrun, Le Prigent, Kerhervé, Jack en Dall n'y voyaient pas des yeux mais des yeux seulement. Guillam Le Borgne, lui, ne l'était pas. Que de gwerz et de sôn ils firent…


" La poésie, dit un proverbe breton, est plus forte que les trois choses les plus fortes :
le mal, le feu et la tempête. "


Yann Brékilien La vie quotidienne des paysans en Bretagne au XIXe siècle

La gwerz est une complainte, un poème épique tandis que le sôn est un chant lyrique.

Ceux qui donnent aux étrangers
Comme aux gens du pays,
Droite justice et ne vont pas
S'écartant du juste,
Leur ville fleurit et les gens
S'y épanouissent…
Le trésor le plus précieux parmi
Les hommes, c'est une langue
Qui se ménage, ou qui s'agite
Sans excès. C'est un bonheur…
Il est des jours marâtres,
D'autres sont de vraies mères.
Heureux et bientôt riche
Celui qui de tout cela gardant
Le savoir travaille sans offenser
Ceux qui ne meurent jamais.
Il comprend les signes des oiseaux,
Il évite de passer outre.

Les travaux et les jours Hésiode

Entre l'amour de ceux qui ont passé la nuit ici et la sainte messe il n'y a pas de différence
et si différence il y avait, la messe serait perdante.


José Saramago Le Dieu Manchot

 

Sarcophage des Époux
fin du VIe siècle avant J.C.
Terre cuite provenant de Cerveteri, Rome, Villa Giulia

Qu'a-t-il donc sanctifié par cette étonnante communion du pain sacro-saint, du calice de l'amitié, sinon une neuve et indissoluble concorde ?

Érasme Plaidoyer pour la paix

Personne

Les dieux ne te laissent Ulysse, que de courage !
Non pas de franchir le grand gouffre des mers
Non pas d'affronter les îles éoliennes
Non pas de pénétrer aux maisons de l'Hadès,
mais de n'avoir pas voulu la cire, d'avoir laisser ton oreille attentive.
Sans doute là tu sus que le danger n'était pas tant de dehors
Que d'un face à face à toi-même, voix intérieures meurtrissantes.
encordé au mât, au large d'Amalfi, ta prière commence.
Ne pas être sourd et laisser sourdre la puissance du souffle qui dit :
Plus de dieux, Dieu seul, un seul et même, victorieux après le combat.
Mon nom est Personne avais-tu dit à Polyphème, divin Ulysse.
Au milieu des sirènes Ulysse en personne.

MLJH

Paisa
" Le secret du cinéma pourrait être dans Paisa ". Leslie Kaplan

Regardons encore une fois Paisa de
Roberto Rossellini et plus particulièrement
le dernier épisode du film.

Regardons de nouveau ces images
où les paysans lèvent leurs yeux vers
le ciel étoilé de cette nuit de l'hiver 1944.

Ces hommes attendent un parachutage qui n'aura pas lieu.

Leurs yeux scrutant l'espace de la nuit
ne voient que les étoiles. Quand cet espace
existe, il y a un silence absolu.

C'est la dernière fois qu'il regardent le ciel ainsi.

Le lendemain, tous perdront leur vie.

Retournons nous une fois encore vers l'écran.
Vers l'espace de ce ciel étoilé de l'hiver 1944.

Avant que ne s'achève ce film, dans sa nuit.

Marc Corigliano La lettre du café n° 7

Entends-tu, Ô mon roi, ma harpe qui projette
Des lointains à travers lesquels nous nous mouvons.

Rainer Maria Rilke David et Saül

Semper felix:

Un accordéon et une harpe qui jouent, qui s'amusent !

pour entendre cliquez


Le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible à rassasier…Je ne possède pas de philosophie dans laquelle je puisse me mouvoir comme le poisson dans l'eau ou l'oiseau dans le ciel…La liberté commence par l'esclavage et la souveraineté par la dépendance. Le signe le plus certain de ma servitude est ma peur de vivre… Mon accession à la liberté. En quoi consiste donc ce miracle ? Tout simplement dans la découverte soudaine que personne, aucune puissance, aucun être humain, n'a le droit d'énoncer envers moi des exigences telles que mon désir de vivre vienne à s'étioler…Où l'être humain puisse prouver qu'il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? Je suis obligé de répondre : nulle part. Si je veux vivre libre, il faut pour l'instant que je le fasse à l'intérieur de ces formes. Le monde est donc plus fort que moi. À son pouvoir je n'ai rien à opposer que moi-même – mais d'un autre côté, c'est considérable. Car tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi-même une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s'exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté.

Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier

 

CODE DE HAMMURABI (détail)

Suse. XVIIIe siècle av. J.-C. Basalte.
hauteur totale : 2 m 25

J'habite un espace étroit
mais infini peuplé de mots
de noms d'arbres aussi d'oiseaux
et de "passants considérables"
sous la musique inouïe des choses.

Claude Serreau

Premiers vers d'un poème inédit de Claude Serreau, dit par l'auteur le 15 décembre 2010 à Rezé à l'occasion de la publication de Réfractions et Raisons élémentaires.

 

« Livrez-vous à toute étude qui puisse vous éclairer et vous inspirer l’amour de vos frères. De simples individus se procurent, en souscrivant, des collections de livres. À leur exemple, souscrivez aussi, mais en faveur de l’Association : formez-lui sa bibliothèque et que cette bibliothèque renferme des Vignoles, des traités de Géométrie, un Dictionnaire de la langue que nous parlons, un Dictionnaire de géographie, une Histoire de France, un abrégé de l’Histoire Universelle, nos Auteurs dramatiques les plus en renom, les Poèmes anciens et modernes, parce que le peuple aime la poésie… Concevez combien une telle bibliothèque serait favorable à tous. Elle offrirait à votre esprit un nouvel aliment et de nouvelles distractions ; vous deviendrez savants, et quand vous retournerez dans vos pays, vos compatriotes diraient de chacun de vous : Voilà un homme auquel le Tour de France n’a pas été inutile !. »

« Que les poètes aux mains calleuses surgissent de toutes part et le dédain sera vaincu. Ces poètes, ce sont le boulanger Reboul, les menuisiers Durand et Rolly, les imprimeurs Hégésippe Moreau, Lachambaudie et Voitelin, le tisserand Magu, le potier d’étain Beuzeville, l’imprimeur sur indiennes Lebreton, le cordonnier Lapointe, le fabricant de mesures linéaires Vinçard, le maçon Poncy, le vidangeur Ponty, le serrurier Gilland, la couturière Marie Carré de Dijon, le perruquier Jasmin, et tant d’autres… Tous ces poètes ne chantent pas comme chantaient jadis l’abbé Dulaurent, l’abbé de Chaulieu, l’abbé de Bernis, l’abbé de Brécourt, le vin et la prostitution ; non, ce qui les inspire, c’est l’amour du travail et des hommes. »

Agricol Perdiguier, menuisier, dit "Avignonnais la Vertu".

L'arbre à lire

d'Anne Maurice

Offert aux Sources et aux Livres

 


De la vanité des paroles


Je ne sçai s'il en advient aux autres comme à moy ; mais je ne me puis garder, quand j'oy nos architectes s'enfler de ces gros mots de pilastres, architraves, corniches, d'ouvrages corinthiens et doriques, et semblable de leur jargon, que mon imagination ne se saisisse incontinent du palais d'Apolidon ; et, par effect, je trouve que ce sont les chétives pièces de la porte de ma cuisine.

Montaigne, Essais

Une petite église de campagne nous remet d'aplomb.
Pourvu qu'elle soit vide. Sans curé. Sans homme.
J'en connais. En moi-même, quelque part, aveuglante…

Georges Perros

REFUGE POUR LES OISEAUX

Entrez n'hésitez pas c'est ici ma poitrine
Beaux oiseaux vous êtes la verroterie fine
De mon sang je vous veux sur mes mains
Logés dans mes poumons parmi l'odeur du thym
Dressés sur le perchoir délicat de mes lèvres
Ou bien encor pris dans la glu d'un rêve
Ainsi qu'une araignée dans les fils du matin
La douleur et la chaux ont blanchi mon épaule
Vous dormirez contre ma joue les têtes folles
Pourront bien s'enivrer des raisins de mon cœur
Maintenant que vous êtes là je n'ai plus peur
De manquer au devoir sacré de la parole
C'est à travers vos chants que je parle de moi
Vous me glissez des bouts de ciel entre les doigts
Le soleil le grand vent la neige me pénètrent
Je suis debout dans l'air ainsi qu'une fenêtre
Ouverte et je vois loin
Le Christ est devenu mon plus proche voisin
Je remue des printemps en ramassant vos ailes
Vous savez qu'il y a du bleu dans mes prunelles
Et vous le gaspillez un peu dans tous les yeux
Refermez les forêts sur moi c'est merveilleux
Cet astre qui ressemble tant à mon visage
Un jour vous écrirez mon nom en pleine page
D'un vol très simple et doux
Et vous direz alors c'est René Guy Cadou
Qui monte au ciel avec pour unique équipage
La caille la perdrix et le canard sauvage.

René Guy Cadou

Comment donc savez-vous, au fond de la terre,
Ensevelie, loin du bruit, sans que la
Température ait changé, par un temps que la vie
A bien du mal à supporter, que la lumière a
Gagné d'un pouce, que le jour s'est allongé d'un rien,
Et que, comme par routine, d'ici quelques semaines,
L'air se sera adouci… Oh ! racine de crocus,
Comment savez-vous, comment savez-vous

Thomas Hardy

Il vaut la peine de planter les boutures de l'avenir si seulement une sur dix prend racine.


Journal,
Katherine Mansfield

Les hommes, au fond, ça n'a pas été fait pour s'engraisser à l'auge, mais ça été fait pour maigrir dans les chemins, traverser des arbres et des arbres, sans jamais revoir les mêmes ; s'en aller dans sa curiosité, connaître.
C'est ça, connaître.

C'est comme ça que parfois les choses se font et l'espérance humaine est un tel miracle qu'il ne faut pas s'étonner si parfois elle s'allume dans une tête sans savoir ni pourquoi ni comment.


Que ma joie demeure,
Jean Giono

C'est quand, jaillissant de nous elle déborde,
que la pensée est véridique,
ce n'est plus la nôtre.


Pierre Brosse, Le bonheur-du-jour

À propos de...

SEL ET CIEL DES MOTS
AUX MARAIS SALANTS
de
Christine GUENANTEN

 

Ciel, mer ; sel, mots : clés, s'il en fallait, de ces poèmes que Christine Guenanten, à son habitude, nous offre pour le plus grand plaisir de lecteurs avides de simplicité dans l'expression, dans la révélation de la beauté.

Un plaisir qui tient d'abord à l'absence d'artifice à prétention intellectuelle. Loin de prétendre enseigner (en ce temps où tout est prétexte à transmission de messages), l'auteur(e) nous donne à voir, à sentir, à goûter ce que les marais salants offrent à qui sait regarder. Tel est son poème : un regard transposé dans des mots remplis d'un sel d'une pureté harmonieusement alliée à la finesse du vers.

À l'image de cette marine très originale, s'ajoute, discrètement, le souvenir de l'expérience personnelle, ponctuée par le temps de l'école, de l'enfance à Louisfert, ce temps de " l'école de l'hirondelle ", au long duquel il arrive à l'élève éprise de rêve de pouvoir dire " Enfin, enfant j'avance "… Suivra, plus tard, - nouvel envol de l'hirondelle -, celui des rencontres. Peu à peu se construit un autre tas de sel. Celui de cette longue suite de noms qui tous honorent la poésie vouée à divers marais : sources vives, chacune véritable bénédiction. Elles ont nom Hélène, René, celui qui mérite le beau titre de " mon père en poésie ", Charles, Michel, et tant d'autres.

Évocations discrètes, émouvantes pourtant, osant dire une admiration et une reconnaissance. Nul n'est seul en poésie. Mais qui le clame aujourd'hui ?

Christine Guenanten n'a pas besoin de théorie ; elle parle sans faire de discours ; elle écrit sans avoir besoin d'expliquer par quels méandres ses vers ont peut-être été obligés de passer avant d'éclater au grand jour. Son poème est spontanément cet éclat. Un chant où brillent de remarquables images (filées, à l'occasion : sel/neige/cristal/éclat), d'étonnantes allitérations ( En village éveillé/Aux chevaux et aux prés/…/Gardait au fond des yeux/L'avenir d'un verger./…/Sur le visage ouvert/Aux fenêtres des blés !), des vers habilement mesurés, réguliers parfois, sans être esclaves de la rime, non méprisée pourtant. Que de qualités dans cette poésie lyrique qui atteint pareille simplicité avec tant de sûre organisation.

Ce recueil prouve, une fois de plus, qu'au lieu de disserter sur l'acte poétique, mieux vaut réaliser ce miracle des mots, le bien nommé
poème.


Bernard Hue
Professeur honoraire de l'université Rennes 2
14 août 2010

Vers de hautes portes
Seul est mien ce pays
Qui se trouve en mon âme ;
Comme un familier, sans papiers,
Je m'y rends.
Il voit ma tristesse et ma solitude,
Il me couche pour m'endormir,
Me couvrant d'une pierre d'odeurs ;

Un vert jardin fleurit en moi, des fleurs imaginées,
En moi mes propres rues s'étendent.
Les maisons manquent
Depuis le temps de mon enfance elles sont en ruines,
Leurs habitants s'égarent dans les airs,
Ils cherchent un logis, ils vivent dans mon âme.

Voici pourquoi je souris
Quand le soleil scintille à peine,
Ou bien je pleure
Comme une pluie légère dans la nuit.

Je me souviens d'un temps
Où je portais deux têtes…
C'était un temps
Où les deux têtes
Se couvraient d'un voile d'amour,
Se dissipaient comme le parfum d'une rose.

Il me semble à présent
Que même en revenant sur mes pas
J'avance
En direction de hautes portes qui cachent un chaos de murs
Où les tonnerres abattus passent leurs nuits
Et les éclairs brisés.


Marc Chagall, peintre, graveur et aussi poète.

Ne crois pas le monde une auberge - créée
Pour se frayer chemin par la griffe et le poing
Vers la table où l'on boit et l'on bâfre, tandis
Que regardent de loin les autres, les yeux glauques,
Défaillant, ravalant leur salive, serrant
Leur estomac que les crampes secouent,
Ô ne crois pas le monde une auberge !

Ne crois pas le monde une Bourse - créée
Afin que le puissant marchande avec le faible
Pour acheter leur déshonneur aux filles pauvres
Et aux femmes leur lait nourricier, aux hommes
La moelle de leurs os, leur sourire aux enfants,
Rare apparition des visages de cire,
Ô ne crois pas le monde de la Bourse !

Ne crois pas le monde une jungle - créée
Pour les loups, les renards, rapine et duperie,
Le ciel - rideau tiré pour que Dieu ne voit rien,
La brume - afin qu'au mur nul regard ne te fixe,
Le vent - pour étouffer les plus farouches cris,
La terre pour lécher le sang des innocents,
Ô ne crois pas le monde une jungle !

Non, le monde n'est point auberge, Bourse ou jungle
Car tout y est pesé, tout y est mesuré,
Nulle goutte de sang et nul pleur ne s'effacent
Nulle étincelle en aucun œil ne meurt en vain,
Les pleurs deviennent fleuve et le fleuve une mer
Et déluge la mer, l'étincelle tonnerre,
Ô ne crois pas qu'il n'est Juge ni Jugement !

Itzhak-Leibush Peretz
1852- 1915


Contre vents et marées
Pouvoir se maintenir
Goethe

Vers écrits sur le mur de sa prison avant de mourir par Hans Scholl

La poésie est la seule fortune et parfois l'ultime recours de tout peuple dépossédé.

Anthologie de la poésie yiddish
Charles Dobzynsky

Kafka écrivait en 1904 à son ami Oskar Pollak :

" Il me semble d'ailleurs qu'on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent… un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois. "

" Ceux qui savent lire voient deux fois mieux "

Ménandre, poète attique du IVème siècle avant J.C

Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience...

Tu feras de l'âme qui n'existe pas un homme meilleur qu'elle...

Ne te courbe que pour aimer...

Si tu meurs, tu aimes encore...

Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l'éternel...

René Char, Fureur et mystère

La libellule a quatre L. C’est normal, c’est un insecte.
Un insecte possède trois paires de pattes, un corps en trois parties : la tête, le
thorax et l’abdomen, et est pourvu de deux paires d’ailes. Ce n’est un secret pour
personne. Tous les enfants l’apprennent à l’école.

La coccinelle n’a que deux L. C’est pourtant un insecte. Malgré ce léger
handicap, par miracle, son vol la conduit parfois très haut dans les cieux. C’est
pour cela qu’on l’appelle « Bête à bon Dieu ».

L’hirondelle, elle aussi, n’a que deux L. C’est normal, puisque c’est un oiseau et
deux ailes suffisent pour voler de l’Europe vers l’Afrique et vice versa selon les
saisons. Deux L et une H, fort utile si l’on veut couper à travers monts, mers et
rivières.

La pie n’a pas d’L. La tradition rapporte pourtant qu’elle vole la coquine ! Par
chance, la Providence a fait le nécessaire pour limiter la rapine. Elle vole, soit,
mais ne pille pas.

L’autruche, l’émeu, le kiwi et le manchot ont une vision très terre à terre de notre
Terre. C’est clair. Bien qu’ils soient eux aussi des oiseaux, ils ne volent pas. Ni
dans un sens, ni dans l’autre. Vous comprenez maintenant pourquoi ? Ce n’est
pas une question de surpoids ou de génome. Celui qui a écrit leur nom dans le
dictionnaire a tout bonnement oublié de leur mettre des L.

Et moi, volerai-je un jour ?
Non, assurément, car ni mon nom, ni mon prénom ne portent d’L, et, jusqu’à
preuve du contraire, je ne suis ni un oiseau, ni un insecte, ni même un
pickpocket et encore moins un ange.
Alors, comme Aragon, je me pose la question : « Que ferais-je sans Elle ? »

Yves Maurice

à suivre...

Lien

Joseph Rouzel, psychanalyste, poète, outre une quinzaine d'ouvrages sur le travail social et la psychanalyse a publié en 2007 À bâtons rompus, 40 ans de poésie (Ed. du Champ social).

Môrice Bénin chante depuis bientôt trente ans. Au fil de ses concerts et de ses disques, il s'est taillé une belle réputation de résistant de la chanson française.

Détour à faire

Marie-Laure Jeanne Herlédan
Gilles Herlédan

Il n'en parle pas comme tout le monde !

Il, c'est Patrick Chereul...
Par ces temps d'hommages obligés, il se moque "des petits marquis du formalisme scolastique malhabiles dans un exercice inédit pour eux où ils sont contraints d'abandonner le vent qu'ils brassent quotidiennement et d'associer Camus tantôt à la misère de Kabilie, tantôt à la résistance au nazisme ou encore à une autre Résistance au communisme triomphant..." pour présenter un Albert Camus libre et engagé.


voir le numéro 115 de la très piquante revue Golias à la vivante devise : Le présent n'est pas le lendemain d'hier, mais la vigile de demain.

" Ne fouillent pas le même humus
nos racines,
ni ne s'abreuvent
à la même lumière nos feuilles,
mais nos branches
peuvent
s'entremêler, nos oiseaux s'échanger. "

 

Gilles Baudry

La pointe de l’hiver ne décourage pas... La corolle téméraire encore émue de buée
ouvre l’univers au bourgeon audacieux

Frère, ô doux mendiant qui chantes en plein vent,
Aime-toi, comme l'air du ciel aime le vent.

Germain Nouveau Frère, poussant les bœufs dans les mottes de terre,
Aime-toi, comme aux champs la glèbe aime la terre.

Frère, qui fais le vin du sang des raisins d'or,
Aime-toi, comme un cep aime ses grappes d'or.

Frère, qui fais le pain, croûte dorée et mie,
Aime-toi, comme au four la croûte aime la mie.

Frère, qui fais l'habit, joyeux tisseur de drap,
Aime-toi, comme en lui la laine aime le drap.

Frère, dont le bateau fend l'azur vert des vagues,
Aime-toi, comme en mer les flots aiment les vagues.

Frère, joueur de luth, gai marieur de sons,
Aime-toi, comme on sent la corde aimer les sons.

Mais en Dieu, Frère, sache aimer comme toi-même
Ton frère, et, quel qu'il soit, qu'il soit comme toi-même.

Germain Nouveau
31 juillet 1851 - 7 avril 1920

Lettre à la jeunesse, 14 décembre 1897

« Où allez-vous, jeunes gens. Où allez-vous étudiants, qui courez en bandes par les rues, manifestant au nom de vos colères et de vos enthousiasmes, éprouvant l'impérieux besoin de jeter publiquement le cri de vos consciences indignées ?
Allez-vous protester contre quelque abus du pouvoir. A-t-on offensé le besoin de vérité et d'équité, brûlant encore dans vos âmes neuves, ignorantes des accommodements politiques et des lâchetés quotidiennes de la vie ?
Allez-vous redresser un tort social, mettre la protestation de votre vibrante jeunesse dans la balance inégale, où sont si faussement pesés le sort des heureux et celui des déshérités de ce monde ?
Allez-vous pour affirmer la tolérance, l'indépendance de la race humaine, siffler quelque sectaire de l'intelligence, à la cervelle étroite, qui aura voulu ramener vos esprits libérés à l'erreur ancienne, en proclamant la banqueroute de la science ?
Allez-vous crier, sous la fenêtre de quelque personnage fuyant et hypocrite, votre foi invincible en l'avenir, en ce siècle prochain que vous apportez et qui doit réaliser la paix du monde, au nom de la justice et de l'amour ? […]
O jeunesse, jeunesse ! je t'en supplie, songe à la grande besogne qui t’attend. Tu es l’ouvrière future, tu vas jeter les assises de ce siècle prochain, qui, nous en avons la foi profonde, résoudra les problèmes de vérité et d'équité, posés par le siècle finissant. Nous, les vieux, les aînés, nous te laissons le formidable amas de notre enquête, beaucoup de contradictions et d'obscurités peut-être, mais à coup sûr de l'effort le plus passionné que jamais siècle ait fait vers la lumière, les documents les plus honnêtes et les plus solides, les fondements mêmes de ce vaste édifice de la science que tu dois continuer à bâtir pour ton honneur et pour ton bonheur. Et nous ne te demandons que d'être encore plus généreuse, plus libre d'esprit, de nous dépasser par ton amour de la vie normalement vécue, par ton effort mis entier dans le travail, cette fécondité des hommes et de la terre qui saura bien faire enfin pousser la débordante moisson de joie, sous l'éclatant soleil. Et nous te céderons fraternellement la place, heureux de disparaître et de nous reposer de notre part de tâche accomplie, dans le bon sommeil de la mort, si nous savons que tu nous continues et que tu réalises nos rêves.
Jeunesse, jeunesse ! Souviens-toi des souffrances que tes pères ont endurées, des terribles batailles où ils ont dû vaincre, pour conquérir la liberté dont tu jouis à cette heure. Si tu te sens indépendante, si tu peux aller et venir à ton gré, dire dans la presse ce que tu penses, avoir une opinion et l'exprimer publiquement, c'est que tes pères ont donné de leur intelligence et de leur sang. Tu n'es pas née sous la tyrannie, tu ignores ce que c'est que de se réveiller chaque matin avec la botte d'un maître sur la poitrine, tu ne t'es pas battue pour échapper au sabre du dictateur, aux poids faux du mauvais juge. Remercie tes pères, et ne commets pas le crime d'acclamer le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, l'intolérance des fanatiques et la voracité des ambitieux. La dictature est au bout.
Jeunesse, jeunesse ! sois toujours avec la justice. Si l'idée de justice s'obscurcissait en toi, tu irais à tous les périls. Et je ne te parle pas de la justice de nos Codes, qui n'est que la garantie des liens sociaux. Certes, il faut la respecter, mais il est une notion plus haute, la justice, celle qui pose en principe que tout jugement des hommes est faillible; et qui admet l'innocence possible d'un condamné, sans croire insulter les juges. N'est-ce donc pas là une aventure qui doive soulever ton enflammée passion du droit ? Qui se lèvera pour exiger que justice soit faite, si ce n'est toi qui n'es pas dans nos luttes d'intérêts et de personnes, qui n’es encore engagée ni compromise dans aucune affaire louche, qui peux parler haut en toute pureté et en toute bonne foi ?
Jeunesse, jeunesse ! sois humaine, sois généreuse. Si même nous nous trompons, sois avec nous, lorsqu’on nous dit qu'un innocent subit une peine effroyable, et que notre cœur révolté s'en brise d'angoisse. Que l'on admette un seul instant l'erreur possible, en face d'un châtiment à ce point démesuré, et la poitrine se serre, les larmes coulent des yeux. Certes, les gardes-chiourme restent insensibles, mais toi, toi, qui pleures encore, qui dois être acquise à toutes les misères, à toutes les pitiés ! Comment ne fais-tu pas ce rêve chevaleresque, s'il est quelque part un martyr succombant sous la haine, de défendre sa cause et de le délivrer ? Qui donc, si ce n'est toi, tentera la sublime aventure, se lancera dans une cause dangereuse et superbe, tiendra tête à un peuple, au nom de l'idée justice ? Et n'es-tu pas honteuse, enfin, que ce soient des aînés, des vieux, qui se passionnent, qui fassent aujourd'hui ta besogne de généreuse folie ?
Où allez-vous. Jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui battez les rues, manifestant, jetant au milieu de nos discordes la bravoure et l'espoir de vos vingt ans ?
— Nous allons à l'humanité, à la vérité, à la justice ! »


Émile Zola (1840-1902),
Lettre à la jeunesse, 14 décembre 1897,
œuvres complètes, volume 14,
Cercle du livre précieux, 1970, p. 908-909

Le Contexte historique :

Président de la Société des gens de lettres de 1891 à 1896, Zola reçoit Bernard Lazare le 6 novembre 1897 et déjeune avec le sénateur Scheurer-Kestner le 13. Il écrit ensuite, dans Le Figaro, trois articles avant de publier deux brochures, La Lettre à la jeunesse (14 décembre 1897) et La lettre à la France (7 janvier 1898). Le 13 janvier 1898, au surlendemain de l'acquittement d'Esterhazy, sa lettre au président de la République paraît dans L'Aurore, sur toute la une du quotidien et sur une large partie de sa page 2, à la veille de la publication de la première liste des intellectuels demandant la révision du procès Dreyfus.

" Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait "

Mark Twain

Jeunesse, voilà quelques pages pour vous. La Boétie a 16 ou 17 ans lorsqu'il écrit Le discours de la servitude volontaire. C'est par la force de ce texte qu'un certain Montaigne veut en connaître son auteur.
Il était à la moitié de sa courte vie.
Plus tard il inspirera la pensée de nombreux auteurs dont Simone Weil pour sa méditation sur l'obéissance et la liberté dans
Oppression et liberté (1934). " La soumission du plus grand nombre au plus petit, ce fait fondamental de presque toute organisation sociale, n'a pas finit d'étonner tous ceux qui réfléchissent un peu... que beaucoup d'hommes se soumettent à un seul est assez étonnant, mais qu'ils restent soumis au point de mourir sur son ordre comment le comprendre ?
Lorsque l'obéissance comporte au moins autant de risques que la rébellion, comment se maintient-elle ?..."
Éternité d'un dire contre tout pouvoir, une pensée déposée aux pieds de notre temps aussi, puissiez-vous la ramasser en chemin : c'est une leçon d'éthique et de morale pour tous.
A noter que le titre entier est
De la servitude volontaire ou Contr'un et que c'est ce dernier terme que reprend S. Weil

Marie-Laure Jeanne Herlédan

La Boétie, Discours de la servitude volontaire.

Donc, puisque cette bonne mère [La Nature] nous a donné à tous toute la terre pour demeure, puisqu’elle nous a tous logés dans la même maison, nous a tous formés sur le même modèle afin que chacun pût se regarder et quasiment se reconnaître dans l’autre comme dans un miroir, puisqu’elle nous a fait à tous ce beau présent de la voix et de la parole pour mieux nous rencontrer et fraterniser et pour produire, par la communication et l’échange de nos pensées, la communion de nos volontés ; puisqu’elle a cherché par tous les moyens à faire et à resserrer le nœud de notre alliance, de notre société, puisqu’elle a montré en toutes choses qu’elle ne nous voulait pas seulement unis, mais tel un seul être, comment douter alors que nous ne soyons tous naturellement libres, puisque nous sommes tous égaux ? Il ne peut entrer dans l’esprit de personne que la nature ait mis quiconque en servitude, puisqu’elle nous a tous mis en compagnie.

La rose est sans pourquoi; elle fleurit parce qu'elle fleurit,
N'a garde à sa beauté, ne cherche pas si on la voit.

Angelus Silesius

Armand Robin

Lettre adressée à la Gestapo le 5 octobre 1943 :

Preuves un peu trop lourdes de la dégénérescence humaine, il m’est parvenu que de singuliers citoyens français m’ont dénoncé à vous comme n’étant pas du tout au nombre de vos approbateurs. Je ne puis, messieurs, que confirmer ces propos et ces tristes écrits. Il est très exact que je vous désapprouve d’une désapprobation pour laquelle il n’est point de nom dans aucune des langues que je connaisse (ni même sans doute dans la langue hébraïque que vous me donnez envie d’étudier). Vous êtes des tueurs, messieurs ; et j’ajouterai même (c’est un point de vue auquel je tiens beaucoup) que vous êtes des tueurs ridicules. (...) Vous avez assassiné, messieurs, mon frère, le travailleur allemand; je ne refuse pas, ainsi que vous le voyez, d’être assassiné à côté de lui.

Lettre indésirable n°1

Nous devons la découverte de ce texte au site de l'association Esprits Nomades voir ici qui renvoie à ses sources : le site consacré à Armand Robin par Jean Bescond : voir ici

les oiseaux nichent... et l'association aussi...

On lit le poème d'Armand Robin c'est la naissance et le baptême Des Sources et des Livres

Et aussi de Jean Sulivan ces quelques mots pour inviter au partage :

Je vous invite donc à chercher des livres vrais, issus d'une expérience authentique, écrits avec du sang, de la joie et de la douleur. En tout homme, il y a des forces insoupçonnées de réveil et d'allégresse. Si pour vous, tel ou tel livre a été une illumination et a changé votre vie, dites-le moi, je m'en ferai l'écho. N'est-ce pas là aussi œuvre de charité ?

Bloc-notes, p.46

 
Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbres et portant de la semence.

Genèse I, 29

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